vendredi 18 décembre 2009

L'opérette: un devoir civique! (Figaro, 17/12/2009)



Pour les fêtes, Offenbach, Terrasse et Yvain reviennent à l'affiche pour illustrer un genre considéré à tort par les théâtres comme un «plaisir coupable».

L e «stupide XIXe siècle» a fait des ravages. Les archétypes romantiques du héros sacrifié et de la belle douleur ont monopolisé les consciences. Encore aujourd'hui, le rire est suspect. Au pays de Rabelais, La Fontaine, Voltaire et Marcel Aymé, on goûte pourtant le rire intelligent. En matière musicale, les noms d'Offenbach, Hervé, Lecocq, Chabrier, Audran, Varney, Christiné, Terrasse, Hahn, Messager, Yvain… incarnent les lettres de noblesse d'un patrimoine aussi vaste que méconnu, résumé par le terme imparfait d'« opérette », et que quelques esprits libres tendent encore à défendre.
Sans le travail d'un Benoît Duteurtre, avec son livre L'Opérette en France (Fayard) et son émission de France Musique, « Étonnez-moi, Benoît », ces milliers d'œuvres seraient plongées dans les oubliettes. Sans l'obstination de Jean-Christophe Keck, Offenbach serait réduit à ses cinq grandes scies. Sans la passion d'une troupe itinérante comme Les Brigands, nul ne jouerait le répertoire léger du début du XXe siècle.
Au-delà de la trêve des confiseurs
Voilà huit ans que cette compagnie atypique parcourt les théâtres de France et retrouve l'harmonie si française entre le bon mot et la note cocasse, entre l'humour et la musique. Après (entre autres) Arsène Lupin banquier, de Marcel Lattès, Toi c'est moi, de Moïse Simons, ou Ta bouche, de Maurice Yvain, ils explorent aujourd'hui le répertoire méconnu de Claude Terrasse en montant un très excitant Au temps des croisades, au Théâtre de l'Athénée.
D'une manière générale, en ces périodes de fin d'année, la plupart des théâtres lyriques programment des traditionnels « spectacles de Noël » tournés vers l'opérette et la musique légère. Et les salles sont pleines ! Comme quoi, la joie attire les foules et le rire fait recette. Mais ces maisons gardent une réticence de principe devant un répertoire qu'ils n'acceptent de programmer que durant la trêve des confiseurs. Ce que les Anglo-Saxons appellent un guilty pleasure, un « plaisir coupable ». Il n'y a pourtant aucune honte à rire en automne ou au printemps.
Maîtres dans l'art du cross over, les Américains nous ont appris à chanter sous la pluie ; pourquoi ne ririons-nous qu'à Noël ? Français, encore un effort !

Jean-Christophe Keck : «Offenbach est un sacerdoce»

Entretien Depuis bientôt trente ans, ce musicologue et chef d'orchestre débroussaille l'immense corpus offenbachien et le dirige en concert, comme samedi prochain à Pleyel.

LE FIGARO. - Comment devient-on «offenbachologue» ?

Jean-Christophe KECK. - J'ai découvert Offenbach à 15 ans, à la télévision, dans le feuilleton avec Michel Serrault. Je me destinais à la musique mais je n'avais pas de plan de carrière ; Offenbach est pourtant devenu un sacerdoce !

Quelle est la taille du corpus ?

Outre les cent quarante œuvres lyriques, il y a des mélodies, des valses, de la musique de chambre et même des pièces religieuses. En tout 650 œuvres !

Comment expliquer la traversée de désert que subit cette œuvre colossale ?

L'ayant droit désigné était Auguste, le seul fils d'Offenbach, mort quelques années après son père. Les quatre filles aînées ne s'y intéressèrent pas et les petits-enfants ont tout sabordé, en vendant les manuscrits. L'un d'eux était un romancier qui collait les partitions manuscrites de son grand-père sur ses pages de garde, comme clin d'œil à ses lecteurs ! Ainsi, tout a été dispersé.

Si ce n'est que vous vous êtes lancé dans l'édition des œuvres complètes…

Oui, mais c'est le travail d'une vie, et même de plusieurs vies. J'ai déjà édité 30 œuvres, mais je vais avoir besoin d'un successeur.

Comment retrouvez-vous les partitions originales ?

Beaucoup grâce à Internet puis en ventes publiques, en particulier à Londres, chez Sotheby's. Mais il y a aussi des aventures rocambolesques, comme le final inédit des Contes d'Hoffmann qui a été retrouvé sous le matelas d'un château ! Lorsqu'il a fini par passer en vente à Drouot, j'ai cassé une tirelire que je n'avais pas : 180 000 € ! En sortant de l'hôtel de ventes, terrifié, j'ai aussitôt contracté un emprunt sur dix ans que je viens de finir de rembourser. Ces quelques pages durent huit minutes. Offenbach est littéralement mort dessus : on voit la plume qui ripe sur le papier après la dernière note.

En 2010, où en est Offenbach ?

Depuis le début des années 1980, on a fait des pas de géant. Mais il faut encore lutter contre cette dictature des relectures et du second degré : tout est déjà dans la partition. Offenbach était un génie polymorphe qui écrivait du premier jet, comme Mozart…

lundi 14 décembre 2009

Fortunio à l'Opéra Comique (Figaro, 14/12/2009; version longue du papier...)



Le respect d’une œuvre peut s’avérer dangereux. Vouloir la pousser vers le haut, coûte que coûte, est une belle intention qui risque pourtant de dénaturer son propos. Tel est le sentiment que l’on peut avoir au sortir du beau et froid Fortunio proposé par Denis Podalydès à l’Opéra Comique.
Disons-le d’emblée : ce spectacle est une merveille pour les yeux. Les costumes discrets et raffinés de Christian Lacroix sont d’une suprême élégance ; quant au décor d’Eric Ruf, il est ravissant de délicatesse et d’équilibre. La mise en scène de Podalydès est toute aussi délicate, mais son parti-pris de sérieux est d’abord déroutant, puis lénifiant. Les personnages sont à ce point guindés et corsetés que la Comédie Lyrique de Messager tourne au drame provincial. La légèreté du texte de Flers et Caillavet, inspirée de Musset, semble figée dans une optique délibérément sombre, qui cherche à élever le propos de l’œuvre vers des cieux où elle n’a rien à faire. C’est pourquoi le grand absent de ce spectacle - pourtant capital - est l’humour. Certes, Fortunio n’est pas Véronique, encore moins Les p’tites Michu. Mais il y a un monde entre la légèreté douce-amère de l’œuvre et ce refus appliqué de toute fantaisie. La faute n’en incombe-t-elle toutefois pas également au chef ? A la tête d’un orchestre de Paris sans doute trop luxueux, Louis Langrée exalte les beautés (constantes !) de la partition de Messager, en oubliant que nous sommes au théâtre. La moitié des chanteurs est généralement couverte par l’orchestre ; les autres doivent forcer le ton, ce qui n’aide pas à l’intelligibilité d’un texte à la difficile prosodie, car nous sommes moins à l’opéra que devant une conversation en musique. Las, sans l’aide des surtitres, on ne comprendrait guère le joli mais pâle Fortunio de Joseph Kaiser. Ne jetons pas la pierre au seul étranger d’une distribution intégralement francophone, car le style propre à cette œuvre leur semble souvent étranger. Reste la musique, admirable. Mais ça ne suffit pas…

samedi 12 décembre 2009

La Mélodie du bonheur au Châtelet (Figaro, 12/12/2009)




La Mélodie du Bonheur, c’est comme la presse tabloïde : tout le monde l’adore, tout le monde la connaît par cœur, mais personne n’ose le dire. A tort ! Cinquante ans après sa création à Broadway, Sound of music de Richard Rodgers et Oscar Hammerstein reste un des chefs d’œuvres de la comédie musicale américaine. C’est donc avec une curiosité (teintée d’inquiétude) qu’on l’attendait sur la scène du Châtelet. Rangeons nos scrupules au placard : ce spectacle est une complète réussite qui titille nos âmes d’enfant et transforme le public parisien en une immense cour de récréation béate et enchantée.
La grande force du metteur en scène Emilio Sagi est d’avoir monté l’œuvre telle qu’elle, sans dictature du sous entendu. Comme pour le célèbre film de Robert Wise, nous sommes dans le premier degré, et ça fonctionne. Il faut dire que ce Musical se suffit à lui-même : l’histoire bien réelle de la famille von Trapp, ces Autrichiens chanteurs qui fuirent le nazisme après l’anschluss, est parfaitement fagotée. Le génie de Rodgers et Hammerstein a fait le reste, car on ne compte plus les tubes : « Do, re, mi », « Edelweis », « My favorite things », « climb every mountain », « the sound of music ». Pour entonner ces standards, la distribution mêle astucieusement chanteurs lyriques et voix de musical. Ainsi la grande Kim Criswell, en (périlleux) contre-emploi dans le rôle de la mère supérieure. Ainsi les excellents barytons « classiques » Rod Gilfry et Laurent Alvaro. Le personnage de Maria, la novice qui découvre l’amour par la musique, est épineux. Elle doit esquiver la niaiserie tout en restant candide. La soprano anglo-espagnole Sylvia Schwartz y est absolument remarquable, évitant mièvrerie et racolage pour rendre Maria à la fois godiche et touchante, sensible et humaine. Comme l’ensemble de la distribution, elle se montre parfaite comédienne et s’amuse autant que le public. Enfin, vrai spécialiste de ce répertoire, le chef Kevin Farrell dirige un orchestre Pasdeloup qui ne sonne pas toujours très Broadway mais s’en tire avec les honneurs. Un enchantement !

jeudi 10 décembre 2009

Carmen à la Scala (Figaro, 09/12/2009)




Le 7 décembre à Milan est comme le 4 juillet à la Maison Blanche : un must. En ce jour de la Saint Ambroise, toute l’Italie a le regard braqué sur le théâtre de la Scala, qui inaugure traditionnellement sa saison lyrique. Rues barrées, zones interdites, escouades de policiers, manifestations de tous poils, caméras en pagailles, micros à foisons, paparazzis et simples curieux sont de rigueur. L’espace de quelques heures, Milan vit par et pour l’opéra. Tous les potentats de la botte se retrouvent dans cette sublime salle rouge, blanc et or, Mecque absolu de la musique. Ministres et hommes d’affaires se jaugent le smoking ; Placido Domingo fait un frais à Umberto Eco ; côté français : Jérôme Clément (président d’Arte) bavarde avec Dominique Meyer (directeur du Théâtre des Champs Elysées et bientôt de l’Opéra de Vienne). Un soir comme celui-ci, les places aveugles coûtent cinquante euros ; et celles du parterre grimpent à deux-mille !
Le jeu en vaut-il la chandelle ? Devant la Carmen que le directeur Stéphane Lissner a proposée au public milanais, on peut s’interroger. Disons qu’il est difficile d’apporter du neuf à cet opéra comptant parmi les plus joués au monde.
Malgré les (bien inutiles) huées qu’elle a reçue, la mise en scène sans émotion d’Emma Dante ne bouscule rien ni personne. On ne peut lui reprocher que sa platitude et ses truismes de rigueur : les militaires sont d’odieux soldats franquistes complices du goupillon ; la corrida est présentée comme une sanglante réjouissance. Hors ça, dans les élégants décors antiquo-staliniens de Richard Peduzzi et sous les belles et statiques lumières de Dominique Bruguière, rien de bien neuf.
Sur scène, mieux vaut oublier que l’on écoute un opéra français. Chœurs et solistes pourraient chanter le wolof qu’on en serait aussi avancé. Mais, après tout, nous ne sommes pas à Favart. L’Escamillo d’Erwin Schrott est gueulard et couillu ; à la fois expressif et sans nuances. Des nuances, Adriana Damato en possède, mais sa Micaela reste pâle. Il faut dira qu’à côté de la Carmen d’Anita Rachvelishvili, tout semble terne. A vingt-cinq ans, cette gironde géorgienne possède de la gitane les courbes et l’aplomb. Avec son timbre chaud, pas toujours maîtrisé mais très sensuel, cette jeune femme est redoutablement prometteuse. Son partenaire n’a quant à lui plus rien à prouver : Jonas Kaufmann est un des meilleurs Don José du globe. On est juste déçu qu’une vraie direction d’acteur ne canalise pas le feu de ces deux tempéraments, lesquels se perdent sur la scène.
Dans la fosse, Daniel Barenboïm est égal à lui-même : une direction en dents de scies, hétérogène et contrastée, prosaïque et inattendue. A de vrais moments de poésies (les parties élégiaques ou dramatiques) succédaient des pertes d’inspiration (les scènes pittoresques et spectaculaire). Reste que dans ses murs, l’orchestre de la Scala sonne comme nul autre.

lundi 30 novembre 2009

Dialogues des carmélites à Toulouse (Figaro, 30/11/2009)




Qui ne pleure pas à la fin des Dialogues des carmélites est un cœur de pierre ! La décollation de ces religieuses arracherait des larmes à Émile Combes lui-même… Le texte de Georges Bernanos, la partition de Francis Poulenc et la redoutable puissance dramatique du sujet (le massacre d'un couvent aux heures les plus sombres de l'horreur révolutionnaire) font de cet opéra créé en 1957 un des chefs-d'œuvre du genre.
Montée en 1995 à la Halle aux Grains de Toulouse, la production de Nicolas Joel avait marqué. Quatorze ans plus tard, tandis que le Théâtre du Capitole est en travaux, les spectacles se font à nouveau « hors les murs ». C'est pourquoi a été ressorti le beau décor d'Hubert Monloup, pour une production qui n'a rien perdu de sa force théâtrale. Dans cette salle malcommode et à l'acoustique bien sèche, Stéphane ­Roche a remonté cet opéra que Nicolas Joel avait conçu comme une sorte de requiem, conduisant à l'apothéose sanglante de la guillotine.
L'émotion en moins
Cette œuvre au texte complexe doit être dite avec une vraie science de la langue. C'est le cas pour (presque) toute la distribution. La Blanche de la Force de Sophie Marin-Degor est toute en retenue, presque hautaine, voire janséniste. Si son incarnation est sans ­tache, on la voudrait plus animée. On aimerait voir dans ce rôle la toujours impeccable Anne-Catherine Gillet, qui donne au personnage de sœur Constance sa fraîcheur blessée, son tempérament théâtral et son intelligence musicale. La prieure de Sylvie Brunet brûle pour sa part de ferveur et de justesse. Et sa mort donne le frisson. Du côté des hommes, Nicolas Cavallier, Léonard Pezzino et Gilles Ragon donnent trois belles leçons de « chant français ».
Enfin, à la tête de l'Orchestre national du Capitole, Patrick Davin opte pour une direction globalement sèche, analytique et très « XXe siècle ». Si la partition gagne en lisibilité, elle perd peut-être en émotion. Ce qui n'est pas un mal, car l'équilibre se fait avec un spectacle jouant superbement la carte du péplum tragique.

lundi 23 novembre 2009

"La" Bartoli dans ses oeuvres (Figaro, 23/11/09)




Au Théâtre des Champs-Élysées, la mezzo italienne a donné deux étourdissants récitals d'airs pour castrats.

Le star-system, ça peut agacer. Pour ses deux récitals parisiens, Cecilia Bartoli a fait salle archicomble. Dès la sortie du métro Alma, les mélomanes mendiaient le moindre strapontin, fût-il aveugle. Quant aux chanceux ayant billet en poche, ils se congratulaient d'«en être», comme si le simple fait d'avoir pénétré le Théâtre des Champs-Élysées suffisait à leur bonheur.
Car un récital de «la» Bartoli ça ne se rate pas. Et c'est vrai…
Sitôt en scène, la mezzo romaine soufflette les agaceries et les a priori. Bien sûr, c'est une star ; bien sûr, ses concerts sont un décalque du (fort beau) CD sorti chez Decca, Sacrificium (disque d'or en trois semaines !) ; bien sûr, elle en fait des tonnes : arrivant sur scène tel un cabot de boulevard, elle arbore un costume platement théâtral et roule des yeux comme un policier de film muet. Certes, certes, certes…
Grandeur tragique
Mais peste de ces détails : Cecilia Bartoli est une artiste renversante. Preuve en est de ces concerts où elle nous fait prendre des vessies pour des lanternes. Le programme était pourtant risqué ! Composés entre 1725 et 1746, ces douze airs des petits maîtres Porpora, Vinci, Broschi ou Araia furent destinés aux castrats de l'âge d'or. Retrouvés par Bartoli elle-même, qui adore fouiner dans les bibliothèques, ces bluettes plutôt banales sont littéralement transfigurées par leur interprète. Les castrats chantaient-ils ainsi ? On s'en moque. L'essentiel est ce que Bartoli en fait : et c'est souvent saisissant. Aux airs de bravoures inévitablement pyrotechniques (qu'elle chante avec toujours autant de sûreté, de fougue et d'humour ; vocalisant avec des grimaces d'orthophoniste) on préférera les lamentos.
Ainsi l'air Parto, ti lascio o cara, extrait du Germanico in Germania de Nicolo Porpora. Sans aucun jeu de manche et avec une musicalité exemplaire, Bartoli touche ici à la vraie grandeur tragique. C'est qu'elle s'investit, c'est qu'elle vit chaque air comme s'il était le dernier. D'aucuns lui reprocheront de s'économiser, de ne jamais forcer, de ne plus se frotter à l'opéra et préférer les récitals : tant mieux, elle est faite pour durer. Cecilia Bartoli est une chanteuse intelligente : ça tranche !

jeudi 12 novembre 2009

Grétry revit à Versailles (Le Figaro, 12/11/2009)




«L'Amant jaloux» à Versailles : charmant mais trop sage

À l'Opéra royal, le Centre de musique baroque ressuscite ce petit chef-d'œuvre de Grétry.

D'aucuns ont surnommé André Ernest Modeste Grétry (1741-1813) le « Mozart français ». Ce genre de comparaison est toujours hasardeuse, voire gratuite. Reste que son Amant jaloux (1778) brille d'une légèreté, d'une vie et d'un allant particulièrement mozartiens. Contemporain du père de Cosi, on sent que Grétry a baigné dans une même Europe, faite de badinages faussement sereins. Disons que L'Amant jaloux semble un trait d'union entre l'Ancien Régime et les opéras-comiques de Boieldieu, Hérold ou Auber. Une musique française, assurément. Une musique qui a parfaitement sa place dans l'admirable écrin de l'Opéra royal de Versailles (mais Dieu qu'on y est mal assis !).
Pas la moindre incartade
Une musique que le chef Jérémie Rhorer et son Cercle de l'harmonie ont très bien comprise, exaltant son étonnante richesse mélodique et son inventivité de chaque instant. Car c'est beau, L'Amant jaloux ; ravissant, même ! On serait presque navré de la platitude de son livret, qui est un sot chassé-croisé sentimental avec nobliau espagnol, jeune veuve éplorée, beau chevalier français et soubrette mutine.
Au risque de dénaturer un brin l'intrigue, il aurait fallu en « lifter » le livret et flirter parfois avec le second degré. Las, la mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau est d'un respect scrupuleux qui tourne à la platitude. Se reposant sur les charmants décors en toile peinte de Thibaut Welchlin, il n'a pas osé la moindre incartade, ce qui est dommage. Toute aussi sage est la distribution vocale, homogène mais sans éclats. Dans le rôle de Léonore, Magali Léger fait montre de son abattage habituel, mais elle peine à vocaliser des airs d'horlogerie ne souffrant aucune faiblesse. Maryline Fallot est pour sa part idoine en Jacinte, la servante « de caractère ». Annoncé comme souffrant (une coquetterie ?), le ténor canadien Frédéric Antoun domine sans peine le plateau. Son exquise sérénade « D'abord, amants soumis et doux » est l'un des plus jolis moments du spectacle.
Faisons enfin une mention spéciale au programme : pour dix euros, ces presque trois cents pages sont d'une remarquable richesse. C'est si rare !

vendredi 6 novembre 2009

Les orphelins du mal sortent en poche (Pocket) le 12 novembre...


L'Etoile à Genève (Figaro, 06/11/2009; version complète)




L’Etoile brille à Genève


L’Etoile d’Emmanuel Chabrier (1877) est une pure merveille. Opéra bouffe atypique et cinoque, au livret quasi pataphysique, il digère d’étrange façon Offenbach et Wagner, ouvrant la voie à une certaine idée de la musique française. Malgré un tel pedigree, l’œuvre reste méconnue et c’est toujours un plaisir que de la voir et l’entendre.
Pour son retour sur scène après des années de silence, Jérôme Savary se montre égal à lui-même, avec les qualités et défauts qu’on lui connaît. Malgré tout soucieux de servir une œuvre moins rebattue que La Belle Hélène ou La Chauve Souris, il a particulièrement soigné sa mise en scène, et l’on est loin de ses « débordements » de l’Opéra-Comique. Certes, comme un gamin impénitent, il n’a pu se retenir de mettre çà et là son habituelle quincaillerie clownesque (femmes dénudées, travestis en tutu, dialogues modernisés avec des bonheurs divers, comédien greffé à l’intrigue et pas toujours utile). Mais disons que si l’humour almanach Vermot fonctionne une fois sur deux (hilarant clin d’œil à la grippe A ; douteuse allusion à Roman Polanski) l’ensemble se tient fort bien et cela reste du « très bon Savary ».
Le metteur en scène est en cela très aidé par les décors et costumes d’Ezio Toffolutti. Superbes et inventifs, ils filent la métaphore du jeu et du rêve d’enfant : cartes à jouer, fléchettes, automates, peluches, poupées, c’est un vrai carnaval qui défile sur scène, imposant aux chanteurs de gros maquillages. Témoin : Jean-Paul Fouchécourt, qui interprète le désopilant rôle d’Ouf 1er, se voit tout enrobé d’un corps de bibendum. Comme toujours excellent, le ténor français se montre vocalement impeccable et scéniquement très juste, car il parvient à tirer de l’émotion des personnages les plus bouffons (on connaît son Platée). Il domine une distribution bien chantante et au français parfait, où l’on mentionnera la jolie Laoula de Sophie Graf, l’Aloes de Blandine Staskiewicz et le tapioca de Fabrice Farina. A l’inverse, le Lazuli de Marie-Claude Chappuis paraît en retrait. Bonne comédienne, la mezzo fribourgeoise ne semble pas toujours à son aise, (mais c’était la première).
Dans la fosse, Jean-Yves Ossonce dirige l’orchestre de la Suisse Romande en vrai connaisseur de la musique française. Sa battue raffinée, élégante, s’applique à mettre en valeur les audaces de cette partition toujours inventive, afin que le public en goûte chaque inflexion. Ce parti pris ouvertement musical fait un astucieux contrepoint avec les folies en scène, quitte à parfois ralentir les tempi et le rythme de la scénographie. Mais cette démarche permet maintenir un bel équilibre entre la bouffonnerie du propos et l’orfèvrerie d’une musique en tous points admirables.

dimanche 1 novembre 2009

J'en remets une couche sur Mozart l'opéra rock dans Classica (11 / 2009)




J’irai cracher sur Mozart

Bien sûr, j’aurais pu ne pas y aller. J’aurais pu laisser ce « spectacle » vivre sa vie, dans les limbes parallèles de la vulgarité musicale et du merchandising sous culturel. J’aurais pu faire abstraction du nom « Mozart » et me dire que cet « opéra rock », monté au Palais des Sports par des producteurs en quête du veau d’or, était une énième manifestation du temps, une de ces verrues germant dans les escarres de notre patrimoine.
Mais non : j’ai été faible. J’ai voulu voir. Et me voilà bien puni…
La vulgarité et le détournement ne sont pourtant pas pour me déplaire. Je suis même de ceux qui goutent les fumets stercoraires de l’andouillette. Mais quand la tripe refoule son contenant, l’ensemble du plat est gâté, et tel était ce « Mozart l’opéra rock » : un étron. Le mot est affreux mais le spectacle l’est bien plus. Kidnapper la vie et l’œuvre du compositeur autrichien pour les muer en manga branché, il fallait le faire. Tel est l’hideux pari remporté par le metteur en scène Olivier Dahan, le parolier Dove Attia et une armée de compositeurs plus ou moins anonymes, lesquels n’ont même pas tenté de parodier Mozart. En effet, les chansons ne cherchent jamais à singer le père de Cosi : elles sont des créations platement originales, dont la parfaite nullité ne renvoie qu’à elle-même. A mille lieues de Da Ponte, la bêtise des titres est éloquente : « Tatoue-moi », « L’assasymphonie », « Les solos sous les draps », « Le bien qui fait mal »… Chantées façon « star-ac », par des bimbos grimées en bonbons et des minets en tenues de back-room, ces mélodies trottinent tout le long de cet interminable pensum, sans jamais s’imprimer dans la mémoire. Pour ce qui est de l’intrigue, on a le sentiment qu’elle a été fagotée en deux heures par des librettistes incultes ayant visionné des extraits d’Amadeus sur leurs téléphones portables. Raccourci piteux, pauvreté psychologique, grand écart historique : tout y passe. Mais, à vrai dire le public s’en moque autant que les « concepteurs ». Ce spectacle entend juste générer des millions sur le dos d’un cadavre qui ne peut plus regimber depuis deux siècles et demi.

J’ai beau avoir trente-cinq ans, je me suis senti aussi vieux que le monde. Peut-être n’ai-je rien compris ? Peut-être suis-je déjà hors d’âge ? Peut-être l’avenir est-il là ?
Si tel est le cas, je revendique mon statut de barbon : il y a une noblesse à être passéiste.
Tandis que la connerie, elle, est sans honneur.

dimanche 25 octobre 2009

Gustavo Dudamel en répétition (Figaro, 23/10/2009)




« On n’a jamais vu autant de personnes à une répétition ! »
Il faut dire qu’en ce pluvieux après-midi du 21 octobre, les curieux (autorisés) s’entassent au studio 103 de la maison de Radio France. Ce qui s’y passe ? Le jeune chef vénézuélien Gustavo Dudamel répète la Symphonie Fantastique de Berlioz.
Mais le véritable événement est ailleurs : aux musiciens du Philarmonique de Radio France sont mêlés ceux de l’«Orchestre Simon Bolivar des jeunes du Venezuela ». Au total : 300 instrumentistes !
On est aussitôt frappé par la différence des âges et des faciès. Les membres du « philar » sont de pâles Européens nourris au lait écrémé; ceux du Bolivar ont le teint mat, le cheveu brun et des profils andains en bec de condor. Ils ont tous entre 18 et 25 ans. Ils portent T-Shirt, tatouages, boucles d’oreille, casquettes de base-ball, canettes de 7up. Des silhouettes de gang dans la série The Shield. Mais il n’y a aucune agressivité, bien au contraire ; on les sent conscients de leur chance, tous ces jeunes que la musique a tiré des favelas. Ils sont détendus, potaches, farceurs, enjôleurs, tout ébahis d’être ici.
« Ils sont intimidés, confie pourtant une responsable de l’orchestre, Gustavo doit aller les voir un par un pour leur dire de s’asseoir et de se mêler à leurs homologues du philarmonique ». Intimidés ? A d’autres ! Disons que la simple vision de leur chef les galvanise… comme elle électrise tout le monde dans le studio 103.
Une violoniste hispanophone du philar souhaite « bienvenida » aux Bolivar, puis Dudamel entre en scène au son d’un « Bonjour ! Bon après-midi ! Let’s play !».
Franche bouille poupine, teint laiteux, polo rayé, pas bien grand, plutôt râblé, très tactile, un poil grassouillet, Dudamel pétille de bonhomie constructive.
On a déjà beaucoup parlé de son magnétisme : un mélange d’humanité et de précision ; un savant sens du spectacle mâtiné d’une profonde connaissance des œuvres. Dont acte : une fois en action, le jeune maestro grimace, tape du pied, pousse des rugissements muets (ou pas !). « Flexible! », « good ! », « appasionatooooo ! », glapit-il pour scander sa battue souvent volcanique. Cette Fantastique porte bien son nom : Dudamel en offre une vision dionysiaque et presque hystérique. La fameuse valse du second mouvement « Un Bal » est acérée, voire agressive. On y sent cette folie latente de l’artiste décrite par Berlioz.
Mais sous le virtuose rôde toujours le pédagogue : Dudamel s’applique à mettre en valeur chaque couche sonore. Il dissèque autant qu’il vrombit.
Les élus qui ont le droit d’assister au « spectacle » éprouvent le sentiment quasi mystique d’être dans le son. Mais si l’on quitte le chef des yeux, on peut remarquer cette violoniste vénézuelienne en tenue rose et moulante, se rattachant longuement les cheveux, dans une pose alanguie qui dégage son nombril. Ses voisins mâles du philar en rosissent ! La nymphe sait qu’on la remarque. Elle fait un œil de biche, une grimace dédaigneuse, puis reprend son instrument. La musique est une respiration si naturelle…

jeudi 22 octobre 2009

Une Louise décapée à l'opéra de Strasbourg (Figaro, 21/10/2009)




Créé à l'Opéra-Comique le 2 février 1900, Louise, de Gustave Charpentier, incarne la quintessence d'un certain naturalisme musical. Ouvriers, maraîchers, rempailleurs et autres chiffonniers sont les protagonistes de ce «roman musical» qui, sous prétexte d'une idylle entre la couturière Louise et le poète Julien, entendait décrire le Paris populaire à l'aube du XXe siècle. C'est pourquoi - à l'instar des chansons de Damia, des premiers romans de Morand ou du Duvivier de La Belle Équipe - Louise est étroitement lié à son temps, et n'a de valeur réelle qu'en ce qu'il est daté.
Sortir l'œuvre de son contexte et la moderniser sans pour autant l'ancrer dans le temps était un pari délicat. Il est globalement remporté par le metteur en scène Vincent Boussard, lequel s'est concentré sur les personnages en gommant toute référence au pittoresque parisien. Certes, cela resserre l'intrigue sur des rôles à la psychologie assez sommaire (le livret de Charpentier est globalement tarte), et les scènes «de genre» sont étrangement décalées. Pigalle a remplacé Montmartre et le petit peuple de Paris a fait place à des escouades de junkies, clochards, poivrots et paumés de tout poil.
Dès l'instant qu'on admet le parti pris, on y adhère sans gêne. Après un premier tableau plutôt bancal, on se laisse prendre par cette Louise inattendue, dont les qualités scéniques vont croissant jusqu'à la fin du spectacle.
On le voit : l'œuvre est donc prise «au sérieux». C'est bien ainsi que l'entend le chef Patrick Fournillier, visiblement épris de cette partition et soucieux d'en exhiber les qualités symphoniques et les nombreuses richesses orchestrales, quitte à verser dans le grandiloquent.
Un travail qui ne va d'ailleurs pas sans une tendance à oublier les chanteurs, lesquels doivent parfois crier pour se faire entendre. La Louise de Nataliya Kovalova et le Julien de Calin Bratescu semblent ainsi souvent obligés de forcer la voix. S'ils sont scéniquement crédibles, ils en perdent toute nuance et leur français devient incompréhensible. On n'en dira pas de même de Marie-Ange Todorovitch, parfaite en mère de Louise. Quant au père, incarné par Philippe Rouillon, il est le vainqueur de la partie : diction, musicalité, puissance, noblesse, tout est là. Avec lui, ce rôle transcende les âges pour atteindre la véritable humanité.

lundi 5 octobre 2009

L'admirable "Ville Morte" de Korngold (enfin!) à la Bastille (Figaro 05/10/2009)




Créé à Cologne et Hambourg en 1920, La Ville Morte (Die Tote Stadt) d’Erich Wolfgang Korngold (1897-1957) est un des grands chefs d’œuvre lyrique du XXe siècle. Une partition qui enrobe, infuse et enivre. Malgré une rhétorique bien à elle, cette œuvre semble à la croisée d’Elektra, de Turandot et de L’Auberge du cheval blanc. Il n’y a toutefois ici rien de composite, car le génie précoce et protéiforme du viennois Korngold était d’une extraordinaire sûreté. Tout juste avançait-il en marge de la révolution schönbergienne, et jamais ce musicien surdoué n’a fait allégeance à ses contemporains. Au contraire, s’exilant à Hollywood, il deviendra l’un des papes de la musique de film.
Inspiré du texte symboliste de Georges Rodenbach, « Bruges la Morte », Die Tote Stadt décrit les fantasmes morbides d’un veuf rencontrant une jeune femme en qui il croit retrouver son épouse disparue. Oscillant entre songe et réalité, extase et paranoïa, mémoire et amnésie, le héros s’enfonce dans une spirale schizophrène où il en vient à tuer ses propres rêves.
Ce labyrinthe mental, le metteur en scène Willy Decker l’a parfaitement compris. A coup d’images fortes, de tableaux saisissants et de fulgurances, son spectacle ouvertement symbolique illustre les tourments intérieurs du personnage. On voudrait çà et là un peu plus de poésie, un poil plus de brume flamande. Mais cette production, montée à Vienne en 2004, a déjà fait le tour du monde et reste impeccablement rodée.
Partition fourmillante et éruptive, La Ville morte est un opéra de chef. Avec Pinchas Steinberg, il trouve un défenseur idoine. A la tête d’un orchestre de l’opéra qu’on a rarement entendu aussi flamboyant, jamais le chef israélien ne joue la carte du décadentisme ni celle du bastringue. Il ne se laisse également pas enivrer par la musique, et écoute les chanteurs, pour qui cette œuvre est une montée du Cervin à mains nues.
Afin d’incarner Paul, il faut un heldentenor wagnérien. Tel est bien l’excellent Robert Dean Smith, lequel semble parfois écrasé par son rôle et ménage sa voix. Mais cette fragilité n’en rend son personnage que plus crédible et touchant (et puis c’était soir de première…)
A ses côtés, la Marietta de la soprano Ricarda Merbeth est d’une saisissante sûreté vocale, déployant des trésors de sensualité malsaine. On brûle d’entendre ce couple, le printemps prochain, dans le premier acte de la Walkyrie.
En marge de ces timbres d’acier, le baryton Stéphane Degout continue d’élargir sa palette vocale et se glisse avec une remarquable aisance dans les morbides arabesques de Korngold : l’air du Pierrot est un vrai moment de grâce. Tout aussi caméléonne est la mezzo soprano autrichienne Doris Lamprecht. Elle nous prouve qu’elle est aussi à l’aise dans le grand opéra viennois que chez Monteverdi, Offenbach ou la musique contemporaine.
De cette somptueuse Ville Morte, le public ressort groggy, fasciné et presque titubant. Et ça fait un bien !

Opéra Bastille, jusqu’au 27 octobre. Res : 08 92 89 90 90

samedi 3 octobre 2009

L'abominable "Mozart l'Opéra rock" au palais des sports (Figaro, 03/10/2009)




Mozart touche le fond

Certains spectacles sont à ce point désarmants qu’ils se courbent d’eux-mêmes pour recevoir la bastonnade. Mozart l’opéra rock est de ceux-ci : il attend les coups, à croire qu’il les espère.
Tricoter une comédie musicale autour de la figure flamboyante du musicien autrichien n’était pas une mauvaise idée en soi. De même, relire Mozart à l’aune du rock et de la variété pouvait sembler excitant, sinon intrigant. Las, d’un côté comme de l’autre le père de Don Giovanni n’est que le prétexte à une pantalonnade piteuse, où la vulgarité le dispute à la laideur, la vacuité à l’ennui, l’inculture au mercantilisme. Rien n’est à sauver dans ce spectacle qui prend Mozart en otage, conserve un canevas chronologique, distille quelques citations musicales, pour mieux dériver sur les eaux fangeuses d’une kermesse grand luxe dont l’essentiel reste le profit.
Mozart ? Un ludion frénétique. Ses maîtresses ? Des greluches hystériques et grimaçantes. Salieri ? Un gominé minet. Certes, les chanteurs ne sont pas calamiteux, mais la sonorisation privilégie les basses, les rendant incompréhensibles.
Accordons toutefois au cinéaste Olivier Dahan (quelle dégringolade depuis l’excellent Déjà mort), qui fait ici ses premiers pas au « théâtre », d’avoir su jouer avec la machinerie du Palais des Sports. Ici, les décors changent à chaque instant avec une remarquable virtuosité. Mais ils sont si laids, si mal éclairés, avec des costumes si hideux, qu’on se demande si les stylistes n’ont pas fait leur classe chez Haribo.
Dans l’absolu, tant de défauts passeraient si les chansons étaient de qualité. Une fois de plus : zéro pointé. Sur des paroles ineptes de Dove Attia (quelques titres : « Tatoue-moi », « Bim bam boum », « Les solos sous les draps ») les mélodies font preuve d’une prodigieuse médiocrité et pas un tube ne reste en tête sitôt le rideau tombé.
Songeant à Notre Dame de Paris, au Roi Lion et bien sûr à Starmania, la comparaison est cruelle. Songeant à Mozart, on est simplement navré. « Je viole l’histoire mais je lui fais de beaux enfants » disait Alexandre Dumas. Ce spectacle viole Mozart et se contente de lui faire mal. Très mal. Et tout ça pour vendre des T-shirts…

lundi 28 septembre 2009

Les Brigands à Bordeaux par les Deschamps/ Makeieff (Le Figaro 28/09/2009)


Créé en décembre 1869, Les Brigands est l'un des derniers opéras-bouffes composés par Offenbach avant la chute du Second Empire. S'il est moins souvent monté que La Belle Hélène ou La Périchole, c'est sans doute qu'il est plus un hommage amusé aux opéras-comiques louis-philippards qu'une œuvre parodique. Attention, si le livret n'a pas l'acidité de La Grande-Duchesse de Gérolstein, cette histoire de joyeux bandits exerçant leurs forfaits à la frontière de l'Espagne et de l'Italie (sic) est des plus réjouissantes. Il y a même ici un non-sense plus subtil que dans les grands pastiches tel Orphée aux enfers.
Ce non-sense, Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff l'avaient parfaitement exploité en montant ce spectacle à l'Opéra Bastille, en 1993. Seize ans plus tard, leur production n'a pas pris une ride et reste l'une des meilleures incursions du couple théâtral dans le domaine lyrique. Le rythme sans temps morts de cet opéra-bouffe leur permet de mitonner un véritable délire scénique, truffé de gags visuels : foultitude d'animaux vivants ou empaillés ; poulets morts dansant le french cancan… Toutefois, le sens comique ne vient jamais estomper la partition, servie ici par une distribution remarquablement homogène. Dans le rôle de Falsacappa, potache chef des brigands, le ténor Éric Huchet prête son assurance vocale, son abattage et sa carrure de docker.
Du côté des femmes, la jeune et jolie soprano Daphné Touchais est une Fiorella bien chantante et un poil « oie blanche ». Mention spéciale doit être surtout faite des deux émissaires étrangers : le Campo Tasso de Francis Dudziak et le Gloria Cassis de Philippe Talbot sont tout bonnement hilarants. Enfin, Emmanuel Joel-Hornak mène l'Orchestre national Bordeaux Aquitaine tambour battant, et l'on salive de voir ce spectacle sur la scène de l'Opéra-Comique en 2011.

vendredi 25 septembre 2009

Banquet antique à Rome (Classica, octobre 2009)








Opéra gastronomique

L’opéra, dit-on, fut inventé par quelques riches intellectuels mantouans, qui entendaient retrouver cette pureté grecque de l’équilibre entre la parole et les mots. C’était donc une recréation de la culture antique à la lumière des fastes de la Renaissance Italienne. Cette relecture, Emmanuel Giraud l’a mitonnée à sa façon (la métaphore est choisie) en se replongeant dans les textes de la Rome impériale pour nous offrir un des spectacles les plus extravagants qui fût, et dont la démesure, la tenue scénique, les impostures à tiroirs, les canulars en branche et la dimension orgiaque ne peuvent s’apparenter qu’à l’opéra.
Pensionnaire à la villa Médicis à la section « arts culinaires », Giraud a décidé de « refaire » le célèbre banquet de Trimalchion dans le Satiricon de Pétrone. Pour cela, il a demandé à douze invités qui ne se connaissaient pas entre eux, de jouer le jeu, la nuit du 5 au 6 septembre 2009, de 23 h à 6 h 49 du matin. La seule contrainte était d’être vêtu de blanc, puis de se laisser porter…
Après avoir endossé une toge rouge, s’être couvert d’un loup et fait masser les pieds, les invités ont suivi dans les jardins de la villa un parcours qui tenait à la fois du train fantôme et du marathon gastronomique, avec pour leitmotiv musical des pièces pour cor solo que le compositeur Yann Robin avait spécialement concoctées.
A travers quatorze stations, nous avons pu dîner allongés autour d’une piscine où un boucher en costume d’Adam tranchait des volailles ; manger du homard au boudin dans des têtes de cochon d’argile ; déguster du lièvre au chocolat, du bœuf aux oursins, du sanglier aux dattes ; tremper de la joue de veau dans une huître en gelée ou encore picorer des sashimis sur le corps d’une femme nue… Mais tout cela ne serait qu’un simple et savant balthazar, sans la présence baroque d’un amphitryon nommé Fabien Michalon. Présenté aux convives comme le mécène du repas, cet homme dodu drapé dans une toge récupérée du Couronnement de Poppée de Strosser, jouait le rôle de Trimalchion. Fat, bavard, dégueulant d’autosatisfaction, brillant et lourdingue, farceur et épuisant, il incarnait tout l’ambigüité de cette performance qui était –c’est le principe même de la recréation- entre le pastiche et l’hommage, le canular et l’œuvre d’art. Le doute n’a cessé de planer sur l’identité de ce personnage mêlant Falstaff, Monsieur Jourdain et Madame Verdurin. Cet homme au verbe épuisant se disait industriel, descendant d’une famille de clown et dans le secret des puissants, mais on le croirait volontiers spécialiste d’opéra baroque, romancier total façon Thomas Pynchon et ancien pensionnaire de la villa. Il reste même la plus indigeste et géniale création de ce grandiose opéra de table, où, comme au théâtre, tout n’était qu’illusion.

J'ai encore des fans sur France Musique!!














Neuf mois après mon éviction par le cerbère de la foi chrétienne Marc-Olivier Dupin, je garde des supporters nostalgiques. ça fait chaud au coeur!

Envoi sur le forum du site de B. Duteurtre :
Horreur et putréfaction : NEO viré
Naguère, parmi les chroniqueurs réguliers de l’émission « Etonnez-moi Benoît », figurait Nicolas d’Estienne d’Orves dit NEO. Il y apportait tout un pan du patrimoine français avec la chanson insolite, gaillarde, gauloise voire franchement paillarde. Sa disparition m’avait navré, mais je l’avais mise, à tort, sur le compte d’un départ sabbatique pour terminer un roman.
Le chevauchement malheureux – auquel il vient d’être mis fin – de cette émission avec celle de Philippe Meyer sur Inter m’avait empêché d’écouter la fin et guetter NEO.
Mais, bien tardivement donc, je viens de découvrir que NEO avait été viré pour avoir en décembre 2008, pour moquer gentiment les dégoulinades bondieusardes et tinorossiques de saison, passé un « Il est né le divin enfant » des plus gaillards (coupé d’ailleurs en plein vol, par vos soins, M. Duteurtre) ! Cela avait valu « des protestations véhémentes » des cagots de service et des culs-pincés. Mais, est-il besoin de le rappeler ? cette chronique avait pour tous les coincés une réputation sulfureuse qui, sauf masochisme, aurait dû les pousser à changer d’ondes ou à fermer le poste et mettre un CD des petits chanteurs à la croix de bois !
Avec neuf mois de retard, mais mieux vaut tard que jamais, je déplore cette censure et je clame haut et fort : Rendez-nous NEO !

La (belle) résurrection de l'Opéra de Versailles (Figaro, 23/09/2009)


Niché dans les arabesques du château avec une discrétion d’homme de cour, l’Opéra Royal de Versailles est de ces merveilles secrètes dont recèle notre patrimoine. Inauguré en 1770 et tout juste rénové, cet exquis écrin de bois a vécu lundi dernier une résurrection en nobles pompes.
Banc et arrière banc se sont même entassés dans ce théâtre aux tons or et amande, où rôde çà et là l’ombre décollée de Marie-Antoinette.
A l’invitation de Jean-Jacques Aillagon, l’assistance de gala était des plus choisies : François Fillon, Frédéric Mitterrand, Bernadette Chirac, Carole Bouquet, Marisa Bruni-Tedeschi… la liste est aussi longues que les cravates étaient noires (c’est quand elle singe l’ancien régime que la République sait recevoir).
Sur scène, entre deux représentations de Mireille, l’incontournable Marc Minkowski retrouvait ici ses « Musiciens du Louvre » pour rendre hommage aux gloires musicales du XVIIIe siècle versaillais. Le programme était un vaste clin d’œil à « l’Autrichienne ». Surnommée « la reine de France », la symphonie n° 85 de Haydn a trouvé sous la baguette de Minko une vision ludique et roborative, magnifiée par l’acoustique redoutablement parfaite de cette salle. Redoutable en ce qu’elle ne laisse rien passer, jusqu’aux plus infimes nuances… ce qui est une corde raide pour les chanteurs ! Dans les douces plaintes d’Iphigénie en Tauride de Gluck, la voix de Mireille Delunsch dansait péniblement sur des œufs ; plus à l’aise dans les fureurs que l’élégie, la soprano s’est rattrapée avec l’air d’Elettra d’Idoménée de Mozart. Côté mâle, le ténor Richard Croft a donné un élégant mais assez plat « J’ai perdu mon Eurydice » d’Orphée de Gluck. Il était certes difficile de rivaliser avec l’autorité, la tenue vocale et la merveilleuse intelligence musicale du baryton Bryn Terfel. En trois airs (dont l’air du catalogue de Don Giovanni et un extrait des Noces), Mozart était dans la salle. Toutefois Le vrai roi de la piste restait Minkowski lui-même. Dirigeant l’improbable ballet de Gluck Don Juan ou le festin de Pierre –lequel culmine par une danse des furies réutilisée dans Orphée- le chef en commentait au public l’argument, l’œil piquant et matois.
Enfin, la soirée s’est achevée par un dîner dans la Galerie des glaces et un éclatant feu d’artifices sur les pièces d’eau.
L’Autrichienne eut biché.

lundi 21 septembre 2009

Exit Gérard Mortier (Figaro, 21/09/2009)


Du Mortier sous la grisaille

De septembre 2004 à juillet 2009, le flamand Gérard Mortier fut le très controversé directeur de l’Opéra National de Paris. Durant sa dernière « saison », une équipe d’Arte a joué les surmulots pour suivre la vie quotidienne de la première scène lyrique française, en hantant les couloirs de Bastille et de Garnier.
Riche idée, se dit-on, tant le projet semble alléchant. Le règne de Mortier a laissé une empreinte forte, passionnante et parfois douloureuse dans la mémoire du public français. Polémiques et cabales ont jalonné le parcours parisien d’un homme qui utilisait admirablement les médias, tout en condamnant la critique. Chacun de « ses » spectacles sous-tendait un message et proposait une idéologie. Mortier se comparait lui-même à un homme politique montant à la tribune pour défendre les causes d’un opéra qu’il rêvait « vivant ». Il ne craignait pas de sacrifier les œuvres au profit de relectures souvent originales, mais parfois crapoteuses.
A l’heure où Nicolas Joël reprend les rennes de « la grand boutique », observer de l’intérieur les derniers feux du roi Mortier était donc aussi curieux qu’intrigant.
Las, le documentaire réalisé par Richard Copans est un laborieux pensum qui, faute d’architecture et de parti-pris, propose une molle errance dans les couloirs de l’opéra. Ici, la part belle est faite à la musique ; mais les extraits de répétitions de Parsifal, de Wozzeck et des Noces de Figaro sont bien platement filmés. Verbiages du metteur en scène Krzysztof Warlikowski, sabir du chef de chœur Winfried Maczewski, bougonneries filandreuses du chef Sylvain Cambreling (« Paris a toujours été un quart de siècle en retard sur le reste du monde » ): on n’apprend rien. Etrange paradoxe : le grand absent de ce documentaire reste Gerard Mortier lui-même, dont les interviews au compte-goutte sont trop rares pour qu’il y expose pleinement sa contestable mais passionnante philosophie artistique. Celle-ci est donc réduite à sa plus simple expression, et le téléspectateur doit lui-même tisser les liens d’une promenade, que la quasi absence de voix-off rend tristement erratique. Seule lueur dans la grisaille : la visite d’une chanteuse de l’Atelier d’Art Lyrique dans un lycée de Créteil. Curieusement, c’est quand la démagogie est la plus risquée que le charme s’opère. Le plan de cette élève écoutant, en classe, l’air de Barbarina dans Les Noces est une petite merveille. Car on y lit enfin ce bonheur insondable que peut provoquer la musique. A cet instant précis, on comprend quelle notion est la grande absente de la « politique Mortieriste » et de ce documentaire. Un concept tout simple, tout bête, mais qui –lui- n’a cessé de fédérer les foules et d’abaisser les armes : le plaisir. Quand l’art n’est que réflexion, il éveille les consciences mais risque de conduire au désamour et à l’ennui. Dont acte. Et si ce documentaire se veut le testament des années Mortier, il n’en chante que le morne requiem.

jeudi 10 septembre 2009

Simon Boccanegra à Genève (Figaro 11/09/2009)


Opéra de la période médiane de Giuseppe Verdi (1857), Simon Boccanegra a fait l’objet d’une relecture en profondeur vingt quatre ans plus tard. Le compositeur tenait tant à cette pièce qu’il demanda à son dernier librettiste, Arrigo Boito, d’en améliorer le livret, tandis qu’il en révisait la partition. Remonté en 1881, Boccanegra reste donc une des œuvres les plus intimes de son auteur. Tragédie politico-familiale à l’intrigue globalement incompréhensible (sur fond de conflit Guelfe-Gibelin, un ancien corsaire devient Doge de Vienne et se découvre une fille naturelle), elle est un œuvre atypique dans le parcours verdien, car le musicien y tourne souvent le dos à ce qui fait son charme et sa popularité. Ici, peu de mélodies enjôleuses et nul air de bravoure. Celui qui a su si bien chanter le cœur féminin a même composé un opéra d’hommes, où dominent les « clefs de fa » : pour un ténor, on a deux barytons et deux basses. Bref, une œuvre austère et qui demande plusieurs écoutes pour révéler ses trésors.
Cette austérité, le metteur en scène José Luis Gomez l’a bien comprise, quitte à parfois s’y noyer. Epaulée des décors minéraux de Carl Fillion et des sombres costumes d’Alejandro Andujar, sa vision refuse ouvertement les émotions et les débordements latins.
Paradoxalement, ce parti-pris fait la part belle aux chanteurs, qui n’ont pas à s’embarrasser de gestes superflus. Et c’est tant mieux, car la distribution réunie par le nouveau directeur Tobias Richter, pour son premier spectacle à la tête du grand Théâtre, est de superbe tenue. Si le ténor sicilien Roberto De Biasio semble peiner dans le difficile rôle de Gabriele Adorno (émission et justesse souvent hasardeuses), les « clefs de fa » sont une merveille. Citons avant tout le superbe Fiesco de Giacomo Prestia et le magnifique Paolo de Franco Pomponi. Quant à Roberto Frontali, il confère à Boccanegra une noblesse blessée souvent bouleversante. La distribution est toutefois dominée par la soprano bulgare Krassimira Stoyanova. Son Amélia tendre, sensible et enflammée rappelle combien ce rôle est parmi les plus émouvants de Verdi. Enfin, le chef turinois Evelino Pido illumine de sa fougue coutumière les sombres tourments de cette tragédie génoise.

Grand Théâtre de Genève, jusqu’au 24 septembre.
Res : +44 22 418 31 30

mardi 4 août 2009

jeudi 16 avril 2009

Mes chroniques dans Classica...




vie et mort d'une robe Chanel (in Les échos Série Limitée)


Stupeur et tremblements : la vraie vie d'une robe Chanel
[ 10/04/09 - Série Limitée N° 072 ]

Elle fut un trait de Lagerfeld avant de frémir sous les doigts des brodeuses et des Premières d'atelier, jouant parfois l'Arlésienne pour notre reporter qui a suivi la " 35 904 ", star de la collection Paris-Moscou de Chanel... présentée en décembre dernier.



DE GAUCHE À DROITE : LE CROQUIS, DONNÉ À LA PREMIÈRE D'ATELIER PAR KARL LARGERFELD, EST INTERPRÉTÉ SOUS LA FORME D'UNE TOILE. UNE DOUBLURE DE SOIE EST APPLIQUÉE À L'INTÉRIEUR DE LA JUPE. DÉBUTE ALORS LA BRODERIE DANS LES ATELIERS LESAGE. LE DESSIN RÉALISÉ SUR CALQUE EST REPORTÉ SUR L'ORGANZA AVANT L'APPLICATION DES PERLES, LAMES DORÉES ET PAILLETTES IVOIRE.



Souvent les sacs ont un nom, tout comme les chapeaux, les chaussures, certains manteaux. Pas les robes. C'est injuste, mais la mode est une jungle. Nous l'appellerons donc " elle ".
Elle n'existe pas encore. Robe star de la collection Paris-Moscou (présentée cet hiver), cette création de Chanel ne sera dévoilée que dans quelques jours, lors d'un défilé pour happy few au théâtre du Ranelagh.
Pour l'instant, elle se trouve dans les vénérables ateliers de broderie Lesage, rue de La Grange Batelière.
Filons à sa rencontre...
Karl Lagerfeld a demandé à la maison Lesage ce que le thème Paris-Moscou leur inspirait. Pour ce faire, l'âme de Chanel a esquissé un croquis qu'il a envoyé à François Lesage. " Lire un croquis de Lagerfeld est un art, commente une assistante. Seul monsieur Lesage sait vraiment déchiffrer ce genre de rébus. "
Maître Lesage a aussitôt fouillé dans ses tiroirs. " Nous avons tout fait au moins une fois, assure-t-il, l'oeil piquant, en remontant ses bretelles de cuir, il n'y a qu'à retrouver où et quand... ". Avec son physique à la André Pousse, Lesage semble tiré d'un film de Lautner dialogué par Audiard. Au delà du pittoresque, cet homme a tout vu, tout fait, tout connu. Chanel, Dior, Vuitton, Hermès ont leurs habitudes dans cette maison portant allègrement ses 140 printemps, dirigée depuis les années 20 par la dynastie Lesage et rachetée récemment par la maison Chanel.
Cette encyclopédie de la broderie, où travaillent soixante personnes rappelle les romans de Zola ou les opéras de Gustave Charpentier. Un décor fascinant ! Pièces aux murs couverts de cartons marqués " été 79 ", " hiver 83 ", " printemps 96 "... Tiroirs de bois aux étiquettes calligraphiées. Ici, la salle des perles ; là, l'empire des paillettes. Du plafond pendent des lampes métalliques. Dans les ateliers, penchées sur leurs métiers, les brodeuses ont le sérieux des moines copistes. Sur les murs, des photos d'enfants se mêlent à des calendriers d'hommes nus. Les ouvrières ont pourtant le regard vissé sur leur travail. Car il y a de la dévotion à planter ces aiguilles, fixer ces perles, ces chenilles. Un travail de fourmi, qui remonte aux artisans du Moyen Âge. Ici, rien n'est informatisé. Chaque robe est fichée, à la main, avec un échantillon de ses accessoires collé au bristol.
Brodée du soir au matin
Nous découvrons alors la " 35 904 ". Ce n'est pas un numéro d'écrou mais la référence provisoire de notre robe-star. Elle est pour l'instant écartelée en plusieurs morceaux. Les brodeuses la parent de perles, paillettes, ganses, galons, or, boucles, filets, dentelles. Chaque détail contribuant à figurer des courbes sensuelles, des oiseaux, une vraie ménagerie d'arabesques. On n'en verra hélas guère plus, car il est tard et l'atelier va fermer.
- " Allez demain chez Chanel, elle y est livrée à l'aube et sera en une pièce. "
Rendez-vous est donc pris dans le temple de la rue Cambon. Avec Chanel, changement de galaxie. Fini l'ambiance bonhomme, les bretelles de cuir et les petites mains. On passe de la cuisine bourgeoise à la haute gastronomie, de la blanquette aux truffes blanches. Car tout est blanc, ici. Ou bien beige. Dans le showroom réservé à la presse, des vêtements pendent à des cintres, comme les âmes du purgatoire attendent leur entrée au paradis. Dans ces couloirs infinis, où l'on croise des créatures belles et hautaines brandissant des vêtements tels des ostensoirs, la poussière elle-même semble griffée Chanel ; mais il n'y a pas de poussière. Rien ne dépasse, tout est admirablement ordonné. Les ateliers sont immaculés, les lumières électriques. Pas de tiroirs débordant de perles ; nul métier à tisser antédiluvien. Nous voilà devant la directrice d'un des ateliers. On nous montre une robe, qui n'est pas notre amie. Il nous faut alors la décrire.
Regard ironique persillé de dédain : " Vous êtes sûr que c'était une robe Chanel ?... " Mais oui ! Allons donc voir l'atelier voisin. C'est le bon : " Ah mais moi aussi je l'attends ", pérore la couturière. " Elle est encore chez Lesage, il faudra revenir mardi ". On se croirait dans un sketch de Robert Lamoureux.
Le mardi suivant, nous revoilà chez Chanel, où la tension a monté d'un cran. Ici, la pression est palpable. Le défilé est dans vingt-quatre heures ! Tout semble encore plus sérieux et codé que la semaine précédente. La faune encore plus belle, plus jeune, plus sûre d'elle. Tant de perfection asphyxie car trop de beauté tue ! Nymphes et sylphides semblent gonflées de leur importance vestimentaire. Elles portent maintenant les cintres avec une morgue de sacristain.
Dans le " chaud roume ", l'ambiance est électrique.
Direction les ateliers. Notre belle endormie sera-t-elle là ? " Elle est arrivée ", nous répond roguement la maîtresse couturière. Quelle n'est pas notre surprise de la découvrir encore démembrée. La couture, c'est le contraire de la boucherie. On commence en quartier avant de s'incarner.
Sur les différents établis, on en voit heureusement bien les matières : tulle, paillettes et organza. Et ces perles, arrangées en arabesques.
- " Et pour la voir en entier ? "
- " Ah, il faudra repasser demain."
- " Mais demain, c'est le défilé...
- " C'est là que vous la verrez le mieux. "
Va pour le défilé, donc...
Une fois encore, changeons de quartier : cap à l'ouest, plein XVIe. De prime abord, on s'étonne du lieu. Le village de Passy évoque moins Chanel que Cyrillus. Mais le théâtre du Ranelagh est une petite merveille méconnue, nichée dans un sous-sol de la rue des Vignes. Cet ancien cinéma reconverti en théâtre a connu la gloire : Patrick Préjean y joua Cyrano.
Mais ce soir, cette sombre venelle brille d'une lueur neuve. Sa façade est couverte d'affiches " Paris-Moscou, 1913-2008 ". Des voitures à vitres fumées bloquent tout le quartier. De l'autre côté de la rue, le lycée Saint-Jean-de-Passy n'en revient pas ! C'est Cannes- sur-Seine ! Quittant une à une les voitures, mannequins diaphanes et prélats de la mode s'engouffrent dans le théâtre. Suivons-les...



DE GAUCHE À DROITE : UNE FOIS TERMINÉE, LA BRODERIE, QUI A DEMANDÉ 150 HEURES DE TRAVAIL, EST LIVRÉE AUX ATELIERS CHANEL POUR ASSEMBLAGE AVANT L'ESSAYAGE FINAL AU STUDIO AVEC KARL LAGERFELD. SUR LE PODIUM, LE RÉSULTAT : ROBE EN ORGANZA IVOIRE, BAS PAILLETÉ ET PEINT, TOP REBRODÉ DE COQUILLES VERNIES BLANCHES, DE TUBES, PERLES, LAMES DORÉES ET PAILLETTES IVOIRE.

Tout à coup, on saute dans le temps. Boiseries, capitons, orchestre tziganes, velours rouges, coupes de champagne. Comparé au silence du quartier, on se croit dans quelque lupanar de l'Occupation. Car il y a un côté clandestin dans cette salle étroite et secrète, toute en longueur, où les invités sont placés par de beaux cerbères. Le défilé est d'abord dans la salle : Delphine Arnault, Caroline de Hanovre, Diane Kruger, Emmanuelle Seigner, Marie-José Croze, Amira Casar, Marc Lavoine, Isabelle Huppert, Élodie Bouchez... " Font ch... les pipoles ", maugrée une spectatrice, obligée de céder sa place à une starlette, tandis que les lumières se tamisent. C'est que le " spectacle " va commencer.
Le rideau de scène laisse alors apparaître un écran. Début de la projection. Nous voici devant un (très long !) pastiche de film muet, qui relate les amitiés russes de mademoiselle Chanel. La couturière aimait à emmener princes en exil et jolis moujiks dans les cabarets des années folles.
Puis, brusquement, ce cabaret est là, sur scène. Alors paraissent les vestales. Une à une, les mannequins jaillissent en fond de scène et descendent pour remonter la salle par la travée centrale, qu'elles longent comme une nef. Au son d'un boléro " technoïde ", ces modèles aussi fragiles que des gressins arborent des tenues d'un raffinement total et intimidant. Devant ces formes extravagantes, on songe aux films Zardoz ou Yull. D'autant que ces mannequins se ressemblent tels des clones. Tons blancs, crèmes, rouge vif ou noirs. Les têtes sont ornées de sculptures capillaires (quel autre mot ?) qui sont autant de boîtes à bijoux en mouvement. Clin d'oeil : les mannequins hommes portent l'inévitable badge à étoile rouge : au centre, le marteau et la faucille sont remplacés par double C de Chanel. La Gauche caviar adore !
Et soudain : la voilà ! Épiphanie vestimentaire ! Enfin : notre robe. Parmi la déferlante, elle paraît presque sobre. Il faut la voir de près pour en déceler les infinies merveilles. Mais déjà elle disparaît, car elle était la dernière à jaillir. Tout cela est si éphémère !
La musique se tait, et le violon renaît. Lors, comme en procession, derrière l'orchestre qui joue " bei mir bist du schön ", les mannequins regagnent la scène où les attend " papa Karl ", qui apparaît avec la discrétion étudiée d'un vrai gourou.
Puis, en un clin d'oeil, le rêve s'évapore. Tout s'envole comme un rideau de fumée et le XVIe retrouve sa langueur compassé. Après une telle expérience, prendre le métro à la Muette sonne étrangement. Rêve, réalité ? Où donc est le vrai monde ?

PAR NICOLAS D'ESTIENNE D'ORVES

Diverses critiques des "Derniers jours de Paris" sur le web

Cliquez aimablement sur les liens, ça viendra tout seul...

http://www.come4news.com/les-derniers-jours-de-paris-le-thriller-du-mois-524723

http://cacestoutmoi.canalblog.com/archives/2009/04/09/13321659.html

http://www.zonelivre.fr/blog/destienne-dorves-nicolas-les-derniers-jours-de-paris/

CRITIQUE DES DERNIERS JOURS DE PARIS DANS "LE POINT"

Publié le 09/04/2009 - Modifié le 10/04/2009 N°1908 Le Point
Apocalypse : Le premier thriller-catastrophe
Julie Malaure
Nicolas d'Estienne d'Orves © Ballel/Sipa


Depuis son roman « Othon », prix Nimier en 2002, jusqu’aux « Orphelins du mal », en 2007, vendus à 65 000 exemplaires en France et traduit en 12 langues, on sait que Nicolas d’Estienne d’Orves , alias NEO, dandy germanopratin de 34 ans, connaît l’histoire de Paris sur le bout des doigts. Et c’est heureux, car seuls ceux qui aiment la capitale à ce point peuvent lui infliger de telles calamités. Dans son nouveau roman, les kidnappings de nouveau-nés s’enchaînent, la Seine quitte son lit, la Porte Maillot explose. En pleine apocalypse parisienne, un couple sur lequel on ne parierait pas : un jeune professeur et une ado surdouée. C’est maigre, mais comme NEO déborde d’imagination, il se pourrait que l’histoire soit plus « profonde » qu’il n’y paraît...


« Les derniers jours de Paris », de Nicolas d’Estienne d’Orves (XO, 428 pages, 19,90 E).

CRITIQUE DES DERNIERS JOURS DE PARIS DANS "LE FIGARO MAGAZINE"


CRITIQUE DES DERNIERS JOURS DE PARIS DANS "LE FIGARO LITTERAIRE"


dimanche 5 avril 2009

Interview de NEO par Edmond Morrel

C'est très revigorant d'être intégralement compris. Edmond Morrel m'a fait cet honneur. Merci à lui et vive la Belgique!
http://www.demandezleprogramme.be/Les-derniers-jours-de-Paris?rtr=y

jeudi 2 avril 2009

NEI signe à Limoges les 4 et 5 avril...



...dans le cadre de Lire à Limoges 2009.
Il paraît qu'il va pleuvoir, ce n'est pas une raison pour ne pas venir.

jeudi 19 mars 2009

Au salon du livre de Paris 2009

Jean-Marc Parisis (très en beauté), Müligliche et Néo


Blanche de Richemont, Adeline Courchet (de l'excelllllente libraire "Lire entre les vignes", à Sainte Maxime), Henri Loevenbruck




Réclame





Florian Zeller, Olivia Karam, Neo et Jean-Marc Parisis (en majesté)






Au boulot le dorves





jeudi 12 mars 2009

SALON DU LIVRE DE PARIS

Je signerai
Les Derniers Jours de Paris
le samedi 14 mars
sur le stand XO de 14 h à 16 h
sur le stand du Figaro, de 18 h à 19 h

mercredi 4 mars 2009

SIGNATURE


Je signerai mon nouveau roman
LES DERNIERS JOURS DE PARIS

le lundi 23 mars

à la Galerie di Meo

9, rue des Beaux Arts

75006 Paris

de 18 h à 22 h

mardi 24 février 2009