mardi 25 mai 2010

François Simon a mangé "Coup de Fourchette"



Mince de zut, il faudra attendre tout ce temps pour dévorer ce petit livre de 44 pages publié aux éditions du Moteur (9,50 euros). Une histoire truculente racontée par l'excellent NEO, passionné d'opéras, féru d'andouillettes et de noeuds papillon. je l'ai dévore (et même avalé comme une hostie) au soleil de ces journées clémentes. j'ai rigolé tout seul de ce petit conte féroce et savoureux... (photo F.Simon).
(sur son blog Simon Says)

vendredi 14 mai 2010

So long, José ! (Figaro, 13/05/2010)



INTERVIEW - À 70 ans, le baryton belge José Van Dam fait ses adieux officiels au Théâtre de la Monnaie. Cette année, il chantera encore à Genève et Barcelone et compte ensuite donner quelques récitals.

Monument du chant lyrique, José Van Dam va tirer sa révérence. Il fait en ce moment ses adieux au Théâtre de la Monnaie, à Bruxelles, dans un superbe Don ­Quichotte de Massenet. Ces adieux seront célébrés officiellement le 23 mai, par un concert exceptionnel. Rencontre dans le foyer du théâtre avec cet homme élégant, piquant, et profondément humain…

LE FIGARO. - Pourquoi avez-vous choisi de faire vos adieux en incarnant Don Quichotte ?

José VAN DAM. - Lorsque j'ai parlé avec la direction de la Monnaie de fêter ce triple anniversaire -mes 70 ans, mes 50 ans de carrière et mes 30 ans à la Monnaie-, cette œuvre s'est imposée naturellement. Don Quichotte est un personnage que je connais bien, que ce soit à travers l'opéra de Massenet ou par les mélodies de Ravel, de Jacques Ibert ou même la comédie musicale L'Homme de la Mancha. Don Quichotte est un rêveur, un idéaliste, un poète, bref, un artiste…

Est-ce un personnage qui vous ressemble ?

Disons qu'il est profondément humain et que l'humanité est pour moi la seule manière de m'identifier à un personnage.

Quels ont été vos rôles fétiches ?

Il y a une trinité formée par Golaud dans Pelléas et Mélisande, de Debussy, Simon Boccanegra, de Verdi, et Hans Sachs dans Les Maîtres chanteurs de Nuremberg, de Wagner. Ce dernier rôle est un des plus complets qui soit. Il y a de l'amour, de la générosité, et même de l'humour, chose pourtant si rare chez Wagner.

Un compositeur que vous avez beaucoup chanté…

Oui, j'ai été Amfortas dans Parsifal et le Hollandais dans Le Vaisseau fantôme. En revanche, j'ai toujours refusé de chanter Wotan dans le Ring.

Pourquoi ?

Son côté demi-dieu ne m'a jamais inspiré. Ce n'est pas faute d'avoir été sollicité ! Georg Solti me voulait absolument pour Bayreuth. Je me suis replongé dans la partition et j'ai décliné. Solti a été assez surpris ; mais pour chanter un rôle, je dois pouvoir me glisser dans la peau du personnage. Avec Wotan, c'est impossible : il est trop germanique pour moi. Comme je vous l'ai dit : j'aime les personnages plus simples, plus humains.

Vous avez pourtant chanté bien des figures maléfiques, comme le Méphisto de Gounod ou celui de Berlioz…

Avec le diable, c'est différent. Ce n'est pas un personnage méchant : il s'amuse, il se divertit, il se moque de Faust, il sait très bien comment tout va finir. Dans un registre plus ambigu, j'ai aimé chanter Scarpia dans Tosca, de Puccini ; c'est une crapule intelligente… mais amoureuse.

On est loin du Saint François d'Assise de Messiaen, que vous avez créé en 1983 et dont l'incarnation a marqué l'histoire de l'art lyrique…

À l'origine, l'Opéra de Paris cherchait un baryton français et ne trouvait pas. Aussi a-t-on fait appel à moi… J'ai rencontré Messiaen, qui a voulu connaître un peu ma voix afin de composer pour elle. Moi, je me suis plongé dans les Fioretti de saint François et certains textes de Julien Green. Pour le reste, nous avancions à l'aveugle. Personne n'a pu connaître la musique avant les derniers moments. Même la femme de Messiaen n'avait pas le droit. Puis, un jour, est apparu cette partition de 21 kg qui a été pour moi un véritable défi : aussi bien mémoriel que physique. Durant l'opéra, j'étais en scène pendant quatre heures et demi ; soit debout, soit à genoux…

Quelles ont été les grandes rencontres de votre carrière ?

Tout d'abord Mme Aimée Mortimer, qui m'a fait passer le concours radiophonique «À l'école des vedettes». Je suis alors venu à Paris, où j'ai été auditionné par Lorin Maazel. Il m'a fait chanter L'Heure espagnole alors que je n'avais que 24 ans ! Après, je suis allé en troupe à Genève avant de partir pour Berlin… où ma route a croisé celle de Herbert von Karajan, qui reste sans doute la rencontre la plus marquante.

Vous aimez à dire que Karajan, c'était une famille…

Nous avons travaillé ensemble pendant vingt ans et c'est celui qui m'a le plus appris. Karajan choisissait des chanteurs qu'il aimait et voulait les mettre dans tout. Nous composions une sorte de clan, avec Freni, Ghiaurov, Carreras, Domingo, Capuccilli… Il fallait aussi savoir lui dire non. Il m'a proposé ­Pizarro dans Fidelio et Telramund dans Lohengrin, mais j'ai refusé. Il ne m'en a pas tenu rigueur.

Vous dressez le portrait d'un homme affable, alors qu'on a l'image d'un démiurge…

Karajan était un grand timide qui n'aimait pas montrer son côté humain. Il supprimait toutes les photos où on le voyait rire ! Il adorait pourtant que je lui raconte toutes les anecdotes de coulisse, lorsque nous dînions dans sa maison de Salzbourg.

Regrettez-vous des rôles que vous auriez aimé chanter ?

Non, je ne pense pas. Hormis peut-être Shylock dans Le Marchand de Venise, de Reynaldo Hahn. Mais quand on parle de Reynaldo Hahn, les gens lèvent les yeux au ciel… Il y a pourtant tout un répertoire et Paris mériterait un théâtre uniquement consacré à l'opérette. J'en avais parlé à Jean Tiberi, lorsqu'il était maire. J'aurais dû lui proposer un club de foot, ça aurait mieux marché !

Vous avez toujours été très éclectique, enregistrant aussi bien Œdipe, d'Enesco, que Ciboulette, de Reynaldo Hahn.

Je suis curieux de nature. Étant belge, le flamand m'a aidé pour bien maîtriser l'allemand, et le français m'a permis de parler l'italien. Et puis faire partie pendant douze ans d'une troupe où l'on chante un rôle différent par soir, cela vous enseigne la souplesse et l'ouverture d'esprit. Surtout lorsque vos collègues se nomment Bacquier, Blanc, Crespin, Roux, Depraz, Dens, et que vous chantez sous les baguettes de Fournet, ­Etcheverry, Dervaux, Fourestier…

Vous citez des gloires de l'Opéra de Paris. Comment expliquez-vous la crise actuelle du chant français, où la diction est un parent pauvre ?

Je ne me l'explique pas, d'autant que la France est un réservoir de voix. Le problème, c'est que les jeunes chanteurs veulent avant tout faire du son. À l'inverse, je dis toujours à mes élèves que la règle d'or est de chanter les consonnes.

Quels autres conseils leur donnez-vous ?

De ne jamais oublier qu'ils sont avant tout musiciens et que c'est la musique qu'ils doivent servir. Ne jamais forcer sa voix, ne pas aller à contre-courant, s'écouter soi-même et rester humble. Au début de ma carrière, j'avais demandé à un laryngologue : «Quels sont les rôles que je dois éviter ?» «Ceux qui te font peur», m'a-t-il répondu. Il avait raison : l'instinct est infaillible !

Soyons honnêtes, ce ne sont pas de véritables adieux…

Ce sont mes adieux à la Monnaie. Après cela, je chanterai Ariane et Barbe-Bleue, de Dukas, en septembre, à Barcelone, et La Veuve joyeuse, pour Noël, à Genève. Je donnerai encore des récitals de mélodies et quelques concerts. Je compte également me consacrer beaucoup à l'enseignement. Après une existence pendant laquelle j'ai passé dix mois par an à l'hôtel, j'ai envie de voyager pour mon plaisir et de profiter de la vie…

Allez-vous écrire vos Mémoires ?

J'ai commencé, mais c'est fou ce qu'on oublie en cinquante ans de carrière. Ma principale béquille est… une biographie de moi, sortie voici plus de vingt ans !

Et le cinéma ?

J'ai eu de merveilleuses expériences avec Joseph Losey pour Don Giovanni et Gérard Corbiau pour Le Maître de musique. Il y a d'ailleurs un projet d'opéra composé pour le cinéma d'après Le Diable au corps de Radiguet et que ­Corbiau mettrait en scène. J'y jouerai un rôle, mais c'est encore très secret…

Don Quichotte au Théâtre de la Monnaie, jusqu'au 19 mai

mardi 4 mai 2010

Interview de Patricia Petibon (Figaro, 30/04/2010)



Pour Patricia Petibon, 2010 est une grande année. Après avoir triomphé dans Lulu à Genève, mis en scène par Olivier Py, elle revient à Paris dans le cadre des Grandes Voix pour un récital baroque. Elle y reprend le programme de son nouveau disque, Rosso.


LE FIGARO. - Votre disque et votre récital tournent autour du rouge. Pourquoi cette couleur ?

Patricia PETIBON. - C'est une couleur, une matière et un sentiment. C'est la vie, le sang, le vin, la mort. Ce fil rouge me permet de faire le grand écart entre le drame et la comédie. Tout comme le personnage de Lulu, que je commençais à travailler en mettant au point ce programme.

Votre prise de rôle dans Lulu, à Genève cet hiver, marque un tournant dans votre carrière. Comment aborde-t-on un tel rôle ?

Il y a un avant et un après Lulu. J'ai d'abord regardé la partition en géologue, pour voir la géographie du rôle. Berg, c'est une vraie cartographie : il y a des précipices, des falaises, des creux. Plutôt que de la déchiffrer - ce qui est impossible !-, j'ai regardé la morphologie du rôle… et ça n'a fait aucun doute : Lulu correspondait à mon évolution vocale.

Une évolution que vous avez menée depuis des années.

J'ai toujours obéi à ma voix et à mon instinct, préparant mon « mental » de chanteuse. C'est lui qui vous fait trouver l'équilibre. Le chant est une discipline si complexe. C'est pourquoi j'ai agi par étapes, de façon méthodique et homéopathique. Il fallait compartimenter les efforts. La curiosité et l'envie de sortir des sentiers battus m'ont d'abord fait commencer dans le répertoire baroque, chez William Christie, qui est comme mon père adoptif. Puis j'ai choisi mes rôles, un à un, refusant certain (comme Despina ou Suzanne), car j'en avais une idée très précise et attendais d'être plus mûre. Disons que pour construire mon puzzle vocal, je me suis développée de façon douce, lente, comme un escargot…

Vous avez plutôt une réputation (et des couleurs) de feu follet… Sans sagesse, il n'y a pas de véritable folie, non ?

Pour tendre vers l'extrême tragique, il faut aller vers l'extrême comique. Sans cette légèreté, je n'aurais jamais chanté Lulu.

Mais, pour chanter Lulu, ne faut-il pas une vraie folie ?

Disons que c'est une vraie bataille neuronale. Il faut constamment se triturer le cerveau, chercher des méthodes pour appréhender cette algèbre, cette pyramide sonore. Au départ, on est dans la vase, puis, peu à peu - très lentement -, tout commence à s'éclairer. Quand on est Lulu, il ne faut pas se désespérer et faire confiance à son instinct. Le corps du chanteur doit devenir l'empreinte de la courbe vocale. Il faut mémoriser l'espace et s'imbriquer corporellement dans la musique. Lulu, c'est comme un club. Entre chanteurs, on se soutient, on se motive, on se regonfle. Mais je n'ai pas pour autant transféré ma peur sur ma voix. Et Dieu sait si l'écriture de Berg est bestiale : on utilise la voix jusqu'au cri viscéral, on offre une faille béante.

Cette expérience a-t-elle changé quelque chose en vous ?

Ça a forcément ouvert des perspectives. En tous les cas, ça m'a réconcilié avec ce qui est théorique. Et, maintenant, je sais à quoi ressemble Lulu : son regard, comment elle marche, ce qu'elle inspire aux hommes… D'ailleurs je reprends le rôle cet été prochain à Salzbourg, et à l'automne à Barcelone, dans la production d'Olivier Py.

En sort-on indemne ?

Bien sûr ! Il n'y a pas de «Lulu blues» ! On sort de scène, on rentre chez soi, on se met au lit et on regarde un épisode de Dr House ! J'ai pour maxime une phrase d'Olivier Py dans Les Enfants de Saturne : «Le temps n'est pas ce qui passe mais ce qui vient.» Bref, je suis pleine d'espoir !