lundi 19 mars 2012

Vipères sans venin (Bien vu, Figaro, 19 mars 2012)

Réunir sur un même plateau de télévision Stéphane Guillon et Eric Zemmour pouvait promettre quelque piment. Les deux fouines les plus fielleuses du paf ont du venin à revendre. Mais Laurent Ruquier les a convoqués en tant qu’invités, et non chroniqueurs. Si bien que le combat de coq vire à l’échange de piques, noyé dans une courtoisie générale. Pour Zemmour, l’émission est même une sanctification. « Saint Zemmour priez pour nous », louange tout le plateau. Audrey Pulvar avoue partager la plupart de ses vues. Quant à l’athée Michel Onfray, il voit en lui « un homme sans catéchisme, un homme libre ».

Stéphane Guillon endosse pour sa part le costume du martyr modeste, de la victime apaisée, du bouc émissaire en retour de flamme. Il est venu présenter son dernier livre, consacré à son éviction de France Inter. Et si l’on se demande qui peut bien acheter un bouquin sur un tel sujet (la vie est courte, non ?), voilà une question que Guillon ne se pose guère. Le comique est escorté de son avocate, son âme sœur, sa vestale, son miroir, sa chose, son ile déserte, son jardin secret : son épouse, Muriel Cousin. Etrange spectacle que ce couple pincé, arborant le noir du deuil médiatique, serrés l’un à l’autre. Muriel Cousin, c’est la voix de son maître. Un rantanplan malin, bien plus acide, bien plus subtil que son seigneur. Avec son air de Joconde, elle parle pour deux, réfute, attaque. Elle compare même l’affaire Guillon à la conférence de Yalta : rien que ça ! Et son mari ne dit mot, sourit avec componction, laisse parler maman. Ce fier ménage communie dans une belle absence d’humour et joue un rôle qu’on ne leur volera pas : les Thénardier du rire.

lundi 12 mars 2012

Les nains et les autres (Bien vu, Figaro, 13 mars 2012)

Faire un documentaire sur les « gens de petites tailles » (passons sur l’euphémisme lourdaud) n’est pas chose facile. Il faut du tact, de la délicatesse et pas mal de ficelles. Sinon, on sombre dans le voyeurisme malsain ou –pire !- la zoologie involontaire. Dans « J’ai fait de ma petite taille une force », la réalisatrice enfonce à peu près toutes les portes ouvertes. C’est d’autant plus dommage que ce portrait croisé de quatre « gens de petites tailles » (sic) avait tout pour être passionnant. Julien (1 m 20) est un jeune père Montpelliérain ; Emma (1 m 25) est collégienne à Annecy ; Isabelle (1 m 28) est mère de famille en Haute-Loire ; Johnny (1 m 47) est gogo-danseur en pays Lyonnais. Chacun nous apparaît sans masque, avec une honnêteté qui impose souvent le respect. Sans compter que le documentaire est parvenu à capter des moments de vie vraiment saisissants, lesquels se seraient suffis à eux-mêmes tant ils sont parlants. Las, sans doute contaminé par le virus spectaculaire, le reportage est vérolé par un commentaire inepte, qui enquille truismes et clichés, sur le ton guilleret d’un télé-achat : « Julien, est TRES apprécié dans son travail », « malgré sa petite taille, Isabelle ne manque PAS d’énergie ». Ajoutez à cela d’horripilantes « séquences émotions », où la caméra filme les larmes de Johnny, les douleurs d’Emma ou les humiliations de Julien (« On m’a traité d’Pokémon ! Chuis pas un Pokémon ! ») avec musique en guimauve et ralentis sur les sanglots. Pour un tel sujet, il fallait le silence implacable de l’émission Strip-tease… alors qu’on croit voir une parodie de Groland ! De cette garbure, personne ne sort vraiment grandi…

dimanche 11 mars 2012

Raphael's friends (Bien vu, Figaro, 12 mars 2012)

Les « spécialistes » sont une race à part. Une ethnie à lunettes, à chignon, à veston cintré, aux lèvres pincées, aux regards appuyés, à l’ellipse hautaine, au sous-entendu constant… Des gens pas comme les autres, quoi. Des gens qui savent. Dans les musées, vous les repérez facilement : ce sont ceux qui parlent plus fort, pour faire taire les béotiens ; ou qui chuchotent, pour attirer l’attention sur leur méticulosité, leur science, leur incontestable supériorité. Sous couvert d’un documentaire sur le peintre Raphaël, cet épisode de la série documentaire La Vie cachée des oeuvres est avant tout une savoureuse plongée dans l’étrange secte des connaisseurs. Certes, on apprend ici maints détails sur Raphaël, son temps et ses techniques (excellentes animations pédagogiques, façon Shadoks, d’ailleurs)… mais avouons qu’on s’en tape un peu. Ici, ce qui est intéressant, c’est le panel zoologique. Les caméras ont filmé une « journée Raphaël » au Louvre, où une poignée de privilégiés a été autorisée à venir manipuler les oeuvres du maître, avec des gants de chirurgiens et des théories bien arrêtées. Ces travaux pratiques sont émaillés de conférences, de débats, de controverses, où chacun y va de sa théorie, de ses petites idées, de son « moi je ». Et tout cela se tortille, dandine du croupion, glousse comme des petits marquis, sautille avec une vigueur de gambas à la plancha. Au terme de la journée, en saventils plus sur leur idole ? Pas vraiment. Ont-ils accepté des théories autres que les leurs ? Rien n’est moins sûr. Mais chacun est venu faire son tour de piste, gonflé de son importance, bouffi de ses certitudes. Et Raphaël, dans tout ça ? Il va très bien, merci.

Ecrire, c'est quoi au juste? (Bien vu, Figaro, 10 mars 2012)

Rien n’est plus impalpable que l’écriture. Rien n’est plus rétif à l’image que les mots. Rien n’est moins télégénique qu’un écrivain au travail. Un peintre, un musicien, un cinéaste, ça gigote, ça bouscule, comme un danseur. L’écrivain reste vissé à son cahier (ou son clavier) comme le pêcheur à la rive. Et si les flots sont poissonneux, nul ne le remarque, car les écrivains sont gens de silence. Percer le mystère d’un travail littéraire est le but de ce numéro d’« Empreintes », consacré à Philippe Djian. On y voit le parcours d’un homme entièrement dédié à deux causes : sa famille et ses livres. À rebours de tous les auteurs engagés, chouchous des médias, Djian entend être un véritable miroir de son temps, puisque c’est sa langue elle-même (et non ses idées, forcément périssables) qui doit refléter le réel. Cette tâche, il s’y est attelé voici plus de quarante ans, avec une obstination de stylite et une rage de styliste. Qu’on aime ou non Philippe Djian, peu importe. Son discours et son trajet forcent le respect, car ils sont une école d’honnêteté et d’humilité. Pas de melon chez ce mauvais garçon élégant, qui portait contre son sein le monologue de Molly Bloom recopié à la main, comme un talisman. Pas de fausse pudeur chez ce célinien décomplexé, qui place la littérature au-dessus de la vie. Joli moment : ce café pris avec Béatrice Dalle. Un quart de siècle après 37°2, le romancier et son héroïne ne s’étaient jamais rencontrés. En quelques minutes deux regards se croisent, les années se désagrègent, fictions et réalités se confondent et l’on rentre dans le seul temps qui vaille la peine d’être vécu : celui des mots.

vendredi 9 mars 2012

Femmes au volant (Bien vu, Figaro, 9 mars 2012)


La guerre des sexes est implacable ! Alors que la communauté virile reste frappée par la mort de Pierre Tornade, les dames ont balayé toute info avec leur « journée internationale de la femme ». Dans les grandes radios françaises, chacun a vu « madame » à sa porte. Pour France Inter, antenne de tous les combats, il n’est de vraie femme que révolutionnaire et arabe. Pasionarias tunisiennes, bloggeuses égyptiennes, fortes-en-gueule libyennes et autres divas syriennes étaient à l’honneur. Sur RTL, curseur plus étroit : aux fastes du printemps arabe on préférait l’incertitude du sport. Elue « femme de l’année 2011 », la « judokate de charme » Lucie Decosse a plaqué Yves Calvi sur son tatami radiophonique. Voilà une femme qui en a sous la ceinture (noire). A Europe 1, on célébrait une autre race de virago : avec sa délicatesse proverbiale et son charme de dentellière, Eva Joly était l’invitée spéciale de Bruce Toussaint. Gardez la blondeur mais ôtez les lunettes rouges : vous obtenez… Eve Ruggieri, laquelle narrait sa journée de la femme, sur Radio Classique. De tant de beaux débats, il est ressorti une information capitale : la femme est plus prudente au volant. Faisant mentir un veule adage, 75 % des victimes de la route sont des hommes. Reste que ces nobles intentions masquent une cruelle iniquité : le 8 mars a laissé sur le carreau un parent pauvre. Vous le connaissez tous : il est petit, rondouillard, le teint mat, bisexuel, très utile et parfois fort gouteux. Hier, c’était la « journée mondiale du rein », mais les femmes l’ont éclipsé. Injustice ! Sans rein, pas de femmes ! Sans rein, pas de printemps arabe ! Reins de tous les pays, unissons-nous ! L’avenir sera nephretique ou ne sera pas !




lundi 5 mars 2012

Oui oui à l'Elysée? (Bien vu, Figaro, 6 mars 2012)

Une carrière politique est un château de cartes branlant, menaçant toujours ruine, où les alliés restent des félons. Pour en arriver là… François Hollande dépeint la construction de cette carrière, en alternant les témoignages de proches ou de supposés amis. Présenté comme un aimable « ni oui ni non », Hollande est à vrai dire le parent pauvre de l’émission. Bien sûr, on s’amuse à le voir roucouler en famille, au milieu des années 1980, dans une esthétique très Chatilliez, avec sa chemise à manches courtes de guichetier au CIC. Mais pour être très honnête, l’anguille Hollande fascine moins que les sauriens qui l’entourent. Certes, les amis de toujours (Sapin, Jouyet, Attali) évoquent tendrement leur vieux camarade. Mais avouons que les crocodiles sont autrement savoureux : Michel Rocard, le teint cuit, confit dans son amertume, ses déconvenues, avec sa hargne de crapaud buffle, crachant son venin sur les rejetons de la génération Mitterrand. Lionel Jospin, hibou toujours effaré, dont l’oeil lunaire n’exprime aucune tendresse pour le candidat normal, et qui coule du baume pour mieux passer de la laine de verre. Jack Lang, incernable, maître ès palinodies, dont on ne sait s’il aime ou méprise son candidat et noie ses convictions dans un sourire de Musée Grévin. Jusqu’à Jacques Chirac, vieux maréchal cynique, figé par l’usure, qui appelle à voter Hollande comme un sale gamin planterait un pétard dans une crotte de chien. De ce portrait chinois, François Hollande ressort ni grandi ni avili. Il est le ravi de la crèche, une sorte de poussin hilare mais circonspect, le visage à la fois pugnace et interrogatif, toujours étonné d’être là, comme si Goofy briguait le trône de l’oncle Picsou.