vendredi 10 décembre 2010

Hugo Desnoyer, boucher pur sang (Les Echos série limitée, décembre 2010)


Un boucher, c'est intime. Secret, même. On dit le docteur, le pompiste, le supermarché. On dit mon boucher. C'est qu'un boucher ça se découvre, ça s'apprivoise, ça se choisit, ça se possède ; ça ne se partage pas. Si Hugo Desnoyer n'était pas devenu star dans sa discipline, on le garderait pour soi. En matière de bonnes choses, il faut savoir être égoïste. Des côtes de veau comme les siennes, ça se déguste entre amateurs : tant de médiocres y mettraient ketchup ou Savora... N'était un auvent stylisé, sa boucherie du 45, rue Boulard, dans le XIVe arrondissement de Paris, n'attire pas les regards. Une échoppe modeste, un étal classique, des prix normaux (pour Paris, s'entend...). Pourtant les clients y entrent avec ce regard matois des conspirateurs. Dans les 100 m2 du magasin (lesquels incluent les chambres froides et l'arrière-boutique), Hugo Desnoyer est un parfait chef de bande. Il veille sur ses neuf « gars » et les bichonne autant que ses clients. En 1998, cet enfant de la Mayenne -« le pays du lait et de la pomme » -montait à Paris avec des étoiles dans la tête et du courage dans les mollets. Aujourd'hui, il fournit Senderens, Barbot, Vigato, Gagnaire, Passard... L'Elysée est même venu y faire ses courses, avant de réduire ses frais de bouche. Il paraît qu'on croise ici Jeanne Moreau, Catherine Deneuve ou Laetitia Casta. Sans le savoir, on frôle également François Simon, le concombre masqué de la critique gastronomique (et l'honneur de sa profession) avec qui Desnoyer vient de signer un gouleyant opus : Hugo Desnoyer, un boucher tendre et saignant, chez Assouline.
Bref, en douze ans, quel parcours ! Ce qui s'est passé ? L'obstination de l'excellence. Combien compte-t-on de bouchers qui roulent 60 000 km par an pour choisir eux-mêmes leurs bêtes ? Qui vont de Corrèze en Lozère, de Béarn en Limousin, pour les connaître sur pied, les caresser ? « La viande, explique-t-il, c'est une matière noble, comme le cuir. Il faut être sensuel : il faut la toucher, palper la finesse de son grain. »
Dorénavant, Hugo Desnoyer a trois « sourceurs » qui font ce travail pour lui, mais tous connaissent son exigence. Et le résultat est saisissant : comparez une côte de boeuf lambda et une de chez Desnoyer, on a le même écart qu'entre un calendrier des postes et une toile de Vermeer. Parole ! Chaque bouchée est une ar-chéologie culinaire ; d'un coup de dent, on plonge dans l'histoire du goût, dans la généalogie des saveurs.
Et ça rend heureux... Ce qui est triste, c'est que ça devrait toujours être comme ça ; ce qui est gai c'est que Hugo Desnoyer est là, qu'il n'a que trente-neuf ans, et qu'il ne compte pas s'arrêter en si bons chemins. De grands groupes lui ont, bien sûr, déjà proposé des ponts d'or pour racheter son affaire. Tintin ! « J'aurais pu m'arrêter de travailler, mais je n'ai jamais fait ça pour l'argent. Ma boucherie, c'est une aventure humaine. » Au Veau d'or, Hugo Desnoyer a préféré celui de chair. Un honnête homme.

lundi 29 novembre 2010

Mon portrait chinois dans "Point de Vue" (novembre 2010)

clisez ça ou alors cliquez sur :


et c'est tout!

ps: bon, c'est vrai, la photo fait un peu "tête à claque", mais bon...

lundi 4 octobre 2010

Show Boat tient le bon cap (Figaro, 4/10/2010)


Show Boat, c'est la matrice. Une vue de l'âge d'or. L'éden où tout a commencé. Sans Show Boat, la comédie musicale américaine serait restée un divertissement de music-hall, un carnaval de revues. Avec Show Boat, le théâtre musical d'outre-Atlantique est entré dans l'âge d'homme. Il fallait pourtant bien du culot pour oser monter, en 1927, un musical parlant de couples à la dérive et de ségrégation raciale, sur un bateau théâtre du Mississippi. Ce pari, le compositeur Jerome Kern, le librettiste Oscar Hammerstein et le producteur Florenz Ziegfeld l'ont remporté en adaptant le best-seller de la romancière Edna Ferber. Lors, des mélodies comme Make Believe , Can't Help Lovin'Dat Man ou (bien entendu) Ol'Man River , ont fait le tour du monde, souvent reprises par maints jazzmen qui en ont donné d'infinies variations. Malgré cette aura quasi mythique, Show Boat reste méconnu des Français. Très tôt monté au Châtelet par Maurice Lehmann, en 1929, dans une version traduite et baptisée Mississipi (avec un seul «p» !), le chef-d'œuvre de Kern et Hammerstein n'a plus guère connu l'honneur des scènes françaises. Devant la pétaradante production de l'Opéra de Cape Town, on peut espérer que la belle endormie va se réveiller et souvent revenir nous voir.
Créé en Afrique du Sud en 2005, ce spectacle brille par sa cohérence et son esprit de troupe. Il va sans dire que les thèmes abordés ne pouvaient que trouver un écho dans un pays où plane encore l'ombre de l'apartheid. Ce Show Boat du Cap obéit donc à une véritable urgence, laquelle est presque toujours présente sur la scène du Châtelet. Certes, on pourra pinailler sur telle ou telle voix, pointer une direction orchestrale pas toujours bien subtile, une sonorisation parfois hasardeuse ou un Orchestre Pasdeloup qui n'a pas le verni de ce répertoire, mais ne boudons pas notre plaisir. Il y a ici un allant, une joie et un engagement de chaque instant. Tout comme dans l'œuvre elle-même, les parties dramatiques sont les plus réussies. Lorsque le vieux Joe chante sa complainte Ol'man River, avec un chœur d'anciens esclaves, on ne peut oublier que ces artistes viennent tous d'Afrique du Sud et que cela fait singulièrement sens. Le «couple noir» Queeni et Joe (Miranda Tini et Otto Maidi) a d'ailleurs remporté une véritable ovation.
Espérons maintenant que les Parisiens réalisent leur bonne fortune. Après des décennies où la (vraie) comédie musicale était le parent pauvre des théâtres français, le Châtelet de Jean-Luc Choplin nous en offre les plus beaux fleurons, dans des conditions quasi inespérées (langue originale, vrais chanteurs, vrais orchestres). Après Candide, On The Town, Sound of Music ou Little Night Music, ce Show Boat ajoute une nouvelle pierre à l'édifice. Rêvons maintenant à Oklahoma !, Kiss me Kate, Girl Crazy, South Pacific ou Carmen Jones et espérons, espérons, espérons. Comme on chante sur le Mississippi: «make believe»…

samedi 11 septembre 2010

William Christie est toujours debout! (Les Echos Série Limitée, été 2010)


L'autre Buffalo Bill

Nul n'est plus fanatique qu'un apostat, qu'un converti : voyez saint Paul, l'empereur Julien, le père Claudel. De même, nul n'est plus français que William Christie. Alors que les Hexagonaux ont pour marotte de dédaigner leur sol, l'Américain William Lincoln Christie défend depuis quarante ans le drapeau bleu-blanc-rouge avec une fougue de gai martyr.
Il y a pourtant du chemin, depuis la ville de Buffalo, où il naît le 19 décembre 1944, jusqu'à sa récente intronisation à l'Académie des Beaux-Arts. Tout commence par des pièces chorales du Grand Siècle, que madame mère dirige à la tête d'un petit ensemble vocal, dans les années 50. Aussitôt, Bill est touché par la grâce. Vient alors la découverte de quelques enregistrements de Couperin, et l'homme est convaincu : le salut viendra de l'Est, sous les ors de Versailles. Ajoutez à cela des diplômes à Harvard et Yale, les cours des clavecinistes Ralph Kirkpatrick et Kenneth Gilbert, et le voilà mûr pour le vieux monde.
William Christie s'installe en France en 1971. On dit qu'il fuit alors l'enrôlement pour la guerre du Viêt Nam. Si la chose est vraie, l'Amérique gagne un déserteur mais la France, un zélateur. Car le claveciniste s'immerge aussitôt dans les abysses du répertoire baroque, voulant creuser la voie ouverte par ses aînés Gustav Leonhardt et Nikolaus Harnoncourt. Ceux-ci ont dépoussiéré Bach et ses contemporains de leurs oripeaux romantiques. William Christie désire pour sa part abraser la musique française. Il entend même faire mieux : non point restaurer mais recréer. Avec Christie - du moins au début - nous ne sommes pas dans l'archéologie, dans la résurrection factice, mais devant une démarche artistique globale, laquelle veut retrouver des voix enfouies depuis des siècles, et montrer leur modernité, leur contemporanéité. Nous ne sommes pas dans la conservation, mais dans l'éclosion, le bourgeonnement. Les Arts Florissants de Marc-Antoine Charpentier est donc l'oeuvre rêvée pour baptiser cet ensemble vocal qui, depuis trente ans, n'en finit pas de dire " Lève toi et marche " aux Lazare du répertoire baroque.
C'est toutefois au début, dans les années 80, que les Arts Flos ont toute leur raison d'être. L'apothéose étant incarnée par ces fameuses représentations d'Atys de Lully, à l'Opéra Comique à Paris, dans la fameuse mise en scène de Jean-Marie Villégier, en 1987. Si l'on en croit la critique de l'époque : c'était comme retrouver un inédit de Flaubert, une toile cachée de Vermeer, un film inconnu de Welles. Aujourd'hui encore, tout révisionnisme est proscrit. Si certains osent enfin chuchoter s'y être ennuyés ferme, ils le disent à mi-voix, craignant les imprécateurs. Car si Atys a marqué les consciences, ce spectacle a également cimenté la toute puissance de la vogue baroqueuse sur le monde musical français. Lors, toute résurrection du moindre petit maître versaillais a été présentée comme un chef-d'oeuvre. Sur les quelques soixante-dix enregistrements des Arts Florissants, beaucoup sont magistraux (Rameau, Couperin, Charpentier) mais il reste aussi de vrais pensums et il fut longtemps interdit de l'admettre. De mouvement esthétique, le baroquisme est devenu une mode où tout le monde s'est engouffré. La matrice " Atysienne " a même accouché de maints grands noms de la scène actuelle : Christophe Rousset, Hervé Niquet, et bien entendu Marc Minkowski. Ce dernier a vite volé de ses propres ailes, bien décidé à tuer le père. C'est que, dans cette corporation très masculine et volontiers incestueuse, le parricide est un rite établi. Le champ est trop étroit pour que le partage se fasse sans guérilla. Chefs d'orchestres, journalistes, producteurs de disques, tous fument souvent le même calumet, créant d'inexpugnables baronnies, qui se surveillent en chiens de faïence, attendant de voir comment l'ennemi va se tirer de tel opéra de Rameau ou de tel oratorio de Händel.
De ces Atrides, William Christie a toujours su se dépêtrer. Contrairement à ses cadets, il n'a jamais cherché à changer de répertoire, à plaquer ses canons esthétiques sur Debussy, Wagner, Rossini, Massenet. Est-ce un mal ? Le débat n'est pas ici, et les enregistrements offenbachiens de Marc Minkowski prouvent que la battue baroque épouse admirablement les frénésies de Badinguet. Disons que Bill Christie est resté fidèle à ses rêves de jeunesse, ne changeant jamais de voie ; à l'image de Thiré, cette propriété de Vendée qu'il a rachetée en 1985 et dont il n'a cessé de peaufiner le jardin, tel un work in progress n'ayant de raison d'être que par son inachèvement.
À l'heure où le trublion des Arts Flos vient d'entrer sous la Coupole, on peut toutefois s'interroger. Sans doute est-ce une coquetterie, pour cet homme qui possède la nationalité française depuis 1995. Le vibrionnant Bill a-t-il sa place parmi les momies du quai de Conti ? Qu'apporteront les mânes des compositeurs Georges Hüe ou Théodore Dubois, à celui qui a ravivé Lully, Rameau et Charpentier ? N'est-ce pas une façon de nous dire qu'il tire sa révérence ? Que sa boîte aux trésors est tarie ? Que le vivier baroque a épuisé son suc ? Étrange mise en abyme : l'Opéra Comique ressuscitera en mai prochain la mythique tragédie lyrique Atys de Jean-Baptiste Lully grâce à la générosité d'un milliardaire américain, Ronald Stanton, qui ne l'avait pas vu à l'époque. Tout ayant été détruit, décors et costumes vont être recréés ex nihilo. Bien sûr, Bill et ses Arts Florissants seront de la fête. Le champion de l'exhumation pratiquera donc son autorésurrection, appliquant à lui-même un traitement qu'il a expérimenté pendant quatre décennies sur des compositeurs défunts depuis trois siècles. Après avoir été une légende de l'Ouest, Buffalo Bill a joué son propre personnage dans un cirque. Certes, le Bill de Buffalo n'en est pas là, mais attention ! Apothéose académique, autocélébration nostalgique : à tant vouloir se couler dans le marbre de l'histoire officielle, le père des Arts Florissants ne risque-t-il de perdre son âme ? Les ailes des anges ne sont jamais faites de bronze, sinon dans les musées.

mardi 31 août 2010

Villazon côté jardin (Figaro, 30 août 2010)



L'année 2010 marque un tournant pour Rolando Villazon. Après une ­absence d'un an due à des problèmes de santé vocale, le ténor franco-mexicain a fait son grand retour sur les scènes internationales. À l'occasion de la ­sortie de son album «Mexico» (le 6 septembre, chez Deutsche Grammophon), le vibrionnant chanteur accorde au Figaro une interview bilan.


LE FIGARO. - Quelle est la genèse de ce récital consacré à la mélodie populaire mexicaine?

Rolando VILLAZON. - À l'origine, je voulais proposer une anthologie de la chanson mexicaine, de l'époque précolombienne à nos jours. Mais un CD n'est pas un traité d'histoire ; ça doit toucher au cœur. Alors j'ai décidé de chanter les chansons que j'entendais au Mexique lorsque j'étais enfant. Elles font, à vrai dire, bien plus partie de moi que Haendel, Schumann ou d'autres compositeurs découverts durant mes dix ans de carrière lyrique…

Pour ces mélodies populaires, vous avez choisi des orchestrations intimistes…

Je ne voulais pas faire un disque avec un grand orchestre, et encore moins des arrangements pop. Des chansons comme Besame mucho ou Cucurrucucu paloma sont des classiques en soi, au message universel.

Sortir ce disque en 2010 est-il volontaire?

Le 15 septembre, le Mexique fêtera ses 200 ans d'indépendance. C'est une fête joyeuse et bruyante : toutes les cloches sonnent, il y a des feux d'artifice, des mariachis ; le président sort sur son balcon et crie: «Viva Mexico!»; la ­foule répond: «Viva Mexico!! ». C'est une année très symbolique.

Vous sentez-vous des devoirs envers la culture mexicaine?

Ce n'est certainement pas le but du disque. Je cherche avant tout à faire plaisir. Chaque artiste doit se penser comme un cadeau à un inconnu. Il ne faut pas pour autant essayer de plaire au public, ne pas se conformer à une image fausse de soi-même, ne pas se dénaturer, mais rester fidèle à ce qu'on est. Contrairement à un cliché récurrent, nous ne sommes pas des personnages de fiction…

Vous êtes au contraire de chair et d'os, ce qui vous a d'ailleurs contraint à faire une pause pendant un an pour raison de santé ; qu'avez-vous eu?

Un kyste aux cordes vocales. J'ai été soigné par le même ­médecin que la soprane Natalie Dessay. La convalescence a été ­longue, il m'a fallu beaucoup de pa­tience pour ne pas parler pendant des jours, et la voix est revenue. C'est un moment de ma carrière, voilà tout…

Est-ce fréquent chez les chanteurs?

Beaucoup plus qu'on ne le dit. Il y a comme un tabou à ce sujet, mais on devrait en parler plus. Après tout, ce n'est pas un pro­blème de vie ou de mort !

Comment le milieu musical a-t-il réagi à l'annonce de cette pause dans votre carrière ?

Ils ont été très compréhensifs. Contrairement à ce que la presse a voulu laisser entendre, je n'ai subi aucune pression de mon agent ou de ma maison de disques, je n'ai perdu aucun contrat. J'ai même passé une année extraordinaire!
Quand avez-vous su que vous étiez guéri?

Un soir, je suis allé dans la chambre de mes enfants et je leur ai chanté une berceuse. J'ai alors pleuré en me disant: «Ça y est, j'ai réussi»…

Pendant votre convalescence, qu'avez-vous fait?

J'ai énormément lu, dans tous les genres. Par exemple : Contrepoint, de Huxley, des œuvres de Bolano, une histoire de la philosophie occidentale ou encore Nabokov : Feu pâle, quel chef-d'œuvre! Et j'ai même commencé à écrire un roman. C'est l'histoire d'un clown et d'un philosophe. Mais je ne peux pas encore en parler; il est trop tôt.

Pour vous qui avez dans votre jeunesse songé à devenir prêtre, la foi a-t-elle été une béquille durant cette période ?

Disons que pendant un an j'ai lu beaucoup de philosophie analytique et de théologie, ce qui m'a aidé à résoudre quelques doutes existentiels. J'en suis arrivé à une conclusion très simple: qu'il y ait une âme ou non, peu importe, il n'y aura jamais de message clair. Je préfère pencher du côté de l'humanisme et parler du droit humain… Le reste n'est que mythologie.

Et aujourd'hui, que lisez-vous?

Pour mon roman, je me passionne pour la vie des grands clowns. Je lis en ce moment Nous, les Fratellini, après avoir lu la biographie de Grimaldi, de Grock, de Charlie Chaplin… La figure du clown est fantastique en ce qu'elle dit la vérité et questionne notre façon de penser. Le clown nous rend fous, mais il finit toujours par vaincre, car lui seul comprend la logique des situations les plus illogiques. Il est héroïque, inutile et fantastique dans son inutilité même: il reste debout. Le clown se situe entre l'ordre et le chaos, comme la philosophie est entre la théologie et la science, ou la poésie entre le langage et la cacophonie…

Quelle est la leçon à tirer de cette année de pause?

Que l'artiste doit toujours rester inventif et ne pas devenir esclave de son image. Dans mon cas, cela signifie arrêter de lire ce qu'on pense de moi et continuer, que ça plaise ou non. La scène n'est pas un lieu où l'on se cache. Pour rester artiste, il faut prendre des risques, se mettre en danger, faire des folies : c'est la seule façon d'apprendre, de progresser. Lorsque j'ai décidé de chanter les Dichterliebe de Schumann, on m'a dit: «Ce n'est pas pour toi.» Et alors?! Dans la partition, il n'est pas écrit: «réservé à un ténor allemand ou bien à Dietrich Fischer-Dieskau»… C'est justement là que l'artiste doit tenter de trouver autre chose. Je ne suis pas un boy-scout, pas un bon élève. Au contraire: je dois être rebelle à moi-même, à ma propre tranquillité.

Y a-t-il une angoisse à reprendre le chemin de la scène?

Bien entendu. Mais notre métier est fondé sur le trac, et c'est ce qui fait sa beauté : le trac des débuts ; le trac du chanteur confirmé qui ne veut pas décevoir ; le trac d'un retour après une pause… C'est un permanent apprentissage de la vie intérieure… D'une manière générale, j'embrasse tout ce qui m'est arrivé, en bien comme en mal. Je suis content de ma vie, de ses succès comme de ses défaites.

Pour ajouter une corde à votre arc, vous allez maintenant mettre en scène Werther à l'Opéra de Lyon, l'hiver prochain…

Oui, c'est un projet auquel je pense depuis bientôt deux ans. Au cours d'une répétition à Berlin, j'ai avoué que j'avais mes propres idées sur la mort de Werther, que je trouve toujours longue et fastidieuse. On m'a dit: «Pourquoi ne le mettriez-vous pas en scène, un jour?» J'ai plus tard rencontré Serge Dorny, le directeur de l'Opéra de Lyon, qui m'a relancé à ce sujet. Au début, j'avais même pensé mettre en scène et jouer le rôle-titre, mais ça m'a vite semblé impensable, avant tout par respect pour les autres chanteurs…

D'une manière générale, vous aimez décloisonner les genres et les activités…

Parce que j'essaye de briser les fron­tières: je suis un étranger partout et je suis toujours chez moi où je vais.

Mais vous restez avant tout parisien.

Je ne quitterai Paris que pour la tombe!

jeudi 3 juin 2010

Quelques images du Cocktail sanglant mis en scène par Emmanuel Giraud pour la sortie de "Coup de fourchettes"


un cadavre en plein coeur
un auteur ensanglanté

un corps boudiné


Emmanuel Giraud, après l'assaut

langue fourrée


chassez le cannibalisme, il revient au galop

pour en savoir plus, en images, en sons et en sang, rendez-vous sur








mardi 25 mai 2010

François Simon a mangé "Coup de Fourchette"



Mince de zut, il faudra attendre tout ce temps pour dévorer ce petit livre de 44 pages publié aux éditions du Moteur (9,50 euros). Une histoire truculente racontée par l'excellent NEO, passionné d'opéras, féru d'andouillettes et de noeuds papillon. je l'ai dévore (et même avalé comme une hostie) au soleil de ces journées clémentes. j'ai rigolé tout seul de ce petit conte féroce et savoureux... (photo F.Simon).
(sur son blog Simon Says)

vendredi 14 mai 2010

So long, José ! (Figaro, 13/05/2010)



INTERVIEW - À 70 ans, le baryton belge José Van Dam fait ses adieux officiels au Théâtre de la Monnaie. Cette année, il chantera encore à Genève et Barcelone et compte ensuite donner quelques récitals.

Monument du chant lyrique, José Van Dam va tirer sa révérence. Il fait en ce moment ses adieux au Théâtre de la Monnaie, à Bruxelles, dans un superbe Don ­Quichotte de Massenet. Ces adieux seront célébrés officiellement le 23 mai, par un concert exceptionnel. Rencontre dans le foyer du théâtre avec cet homme élégant, piquant, et profondément humain…

LE FIGARO. - Pourquoi avez-vous choisi de faire vos adieux en incarnant Don Quichotte ?

José VAN DAM. - Lorsque j'ai parlé avec la direction de la Monnaie de fêter ce triple anniversaire -mes 70 ans, mes 50 ans de carrière et mes 30 ans à la Monnaie-, cette œuvre s'est imposée naturellement. Don Quichotte est un personnage que je connais bien, que ce soit à travers l'opéra de Massenet ou par les mélodies de Ravel, de Jacques Ibert ou même la comédie musicale L'Homme de la Mancha. Don Quichotte est un rêveur, un idéaliste, un poète, bref, un artiste…

Est-ce un personnage qui vous ressemble ?

Disons qu'il est profondément humain et que l'humanité est pour moi la seule manière de m'identifier à un personnage.

Quels ont été vos rôles fétiches ?

Il y a une trinité formée par Golaud dans Pelléas et Mélisande, de Debussy, Simon Boccanegra, de Verdi, et Hans Sachs dans Les Maîtres chanteurs de Nuremberg, de Wagner. Ce dernier rôle est un des plus complets qui soit. Il y a de l'amour, de la générosité, et même de l'humour, chose pourtant si rare chez Wagner.

Un compositeur que vous avez beaucoup chanté…

Oui, j'ai été Amfortas dans Parsifal et le Hollandais dans Le Vaisseau fantôme. En revanche, j'ai toujours refusé de chanter Wotan dans le Ring.

Pourquoi ?

Son côté demi-dieu ne m'a jamais inspiré. Ce n'est pas faute d'avoir été sollicité ! Georg Solti me voulait absolument pour Bayreuth. Je me suis replongé dans la partition et j'ai décliné. Solti a été assez surpris ; mais pour chanter un rôle, je dois pouvoir me glisser dans la peau du personnage. Avec Wotan, c'est impossible : il est trop germanique pour moi. Comme je vous l'ai dit : j'aime les personnages plus simples, plus humains.

Vous avez pourtant chanté bien des figures maléfiques, comme le Méphisto de Gounod ou celui de Berlioz…

Avec le diable, c'est différent. Ce n'est pas un personnage méchant : il s'amuse, il se divertit, il se moque de Faust, il sait très bien comment tout va finir. Dans un registre plus ambigu, j'ai aimé chanter Scarpia dans Tosca, de Puccini ; c'est une crapule intelligente… mais amoureuse.

On est loin du Saint François d'Assise de Messiaen, que vous avez créé en 1983 et dont l'incarnation a marqué l'histoire de l'art lyrique…

À l'origine, l'Opéra de Paris cherchait un baryton français et ne trouvait pas. Aussi a-t-on fait appel à moi… J'ai rencontré Messiaen, qui a voulu connaître un peu ma voix afin de composer pour elle. Moi, je me suis plongé dans les Fioretti de saint François et certains textes de Julien Green. Pour le reste, nous avancions à l'aveugle. Personne n'a pu connaître la musique avant les derniers moments. Même la femme de Messiaen n'avait pas le droit. Puis, un jour, est apparu cette partition de 21 kg qui a été pour moi un véritable défi : aussi bien mémoriel que physique. Durant l'opéra, j'étais en scène pendant quatre heures et demi ; soit debout, soit à genoux…

Quelles ont été les grandes rencontres de votre carrière ?

Tout d'abord Mme Aimée Mortimer, qui m'a fait passer le concours radiophonique «À l'école des vedettes». Je suis alors venu à Paris, où j'ai été auditionné par Lorin Maazel. Il m'a fait chanter L'Heure espagnole alors que je n'avais que 24 ans ! Après, je suis allé en troupe à Genève avant de partir pour Berlin… où ma route a croisé celle de Herbert von Karajan, qui reste sans doute la rencontre la plus marquante.

Vous aimez à dire que Karajan, c'était une famille…

Nous avons travaillé ensemble pendant vingt ans et c'est celui qui m'a le plus appris. Karajan choisissait des chanteurs qu'il aimait et voulait les mettre dans tout. Nous composions une sorte de clan, avec Freni, Ghiaurov, Carreras, Domingo, Capuccilli… Il fallait aussi savoir lui dire non. Il m'a proposé ­Pizarro dans Fidelio et Telramund dans Lohengrin, mais j'ai refusé. Il ne m'en a pas tenu rigueur.

Vous dressez le portrait d'un homme affable, alors qu'on a l'image d'un démiurge…

Karajan était un grand timide qui n'aimait pas montrer son côté humain. Il supprimait toutes les photos où on le voyait rire ! Il adorait pourtant que je lui raconte toutes les anecdotes de coulisse, lorsque nous dînions dans sa maison de Salzbourg.

Regrettez-vous des rôles que vous auriez aimé chanter ?

Non, je ne pense pas. Hormis peut-être Shylock dans Le Marchand de Venise, de Reynaldo Hahn. Mais quand on parle de Reynaldo Hahn, les gens lèvent les yeux au ciel… Il y a pourtant tout un répertoire et Paris mériterait un théâtre uniquement consacré à l'opérette. J'en avais parlé à Jean Tiberi, lorsqu'il était maire. J'aurais dû lui proposer un club de foot, ça aurait mieux marché !

Vous avez toujours été très éclectique, enregistrant aussi bien Œdipe, d'Enesco, que Ciboulette, de Reynaldo Hahn.

Je suis curieux de nature. Étant belge, le flamand m'a aidé pour bien maîtriser l'allemand, et le français m'a permis de parler l'italien. Et puis faire partie pendant douze ans d'une troupe où l'on chante un rôle différent par soir, cela vous enseigne la souplesse et l'ouverture d'esprit. Surtout lorsque vos collègues se nomment Bacquier, Blanc, Crespin, Roux, Depraz, Dens, et que vous chantez sous les baguettes de Fournet, ­Etcheverry, Dervaux, Fourestier…

Vous citez des gloires de l'Opéra de Paris. Comment expliquez-vous la crise actuelle du chant français, où la diction est un parent pauvre ?

Je ne me l'explique pas, d'autant que la France est un réservoir de voix. Le problème, c'est que les jeunes chanteurs veulent avant tout faire du son. À l'inverse, je dis toujours à mes élèves que la règle d'or est de chanter les consonnes.

Quels autres conseils leur donnez-vous ?

De ne jamais oublier qu'ils sont avant tout musiciens et que c'est la musique qu'ils doivent servir. Ne jamais forcer sa voix, ne pas aller à contre-courant, s'écouter soi-même et rester humble. Au début de ma carrière, j'avais demandé à un laryngologue : «Quels sont les rôles que je dois éviter ?» «Ceux qui te font peur», m'a-t-il répondu. Il avait raison : l'instinct est infaillible !

Soyons honnêtes, ce ne sont pas de véritables adieux…

Ce sont mes adieux à la Monnaie. Après cela, je chanterai Ariane et Barbe-Bleue, de Dukas, en septembre, à Barcelone, et La Veuve joyeuse, pour Noël, à Genève. Je donnerai encore des récitals de mélodies et quelques concerts. Je compte également me consacrer beaucoup à l'enseignement. Après une existence pendant laquelle j'ai passé dix mois par an à l'hôtel, j'ai envie de voyager pour mon plaisir et de profiter de la vie…

Allez-vous écrire vos Mémoires ?

J'ai commencé, mais c'est fou ce qu'on oublie en cinquante ans de carrière. Ma principale béquille est… une biographie de moi, sortie voici plus de vingt ans !

Et le cinéma ?

J'ai eu de merveilleuses expériences avec Joseph Losey pour Don Giovanni et Gérard Corbiau pour Le Maître de musique. Il y a d'ailleurs un projet d'opéra composé pour le cinéma d'après Le Diable au corps de Radiguet et que ­Corbiau mettrait en scène. J'y jouerai un rôle, mais c'est encore très secret…

Don Quichotte au Théâtre de la Monnaie, jusqu'au 19 mai

mardi 4 mai 2010

Interview de Patricia Petibon (Figaro, 30/04/2010)



Pour Patricia Petibon, 2010 est une grande année. Après avoir triomphé dans Lulu à Genève, mis en scène par Olivier Py, elle revient à Paris dans le cadre des Grandes Voix pour un récital baroque. Elle y reprend le programme de son nouveau disque, Rosso.


LE FIGARO. - Votre disque et votre récital tournent autour du rouge. Pourquoi cette couleur ?

Patricia PETIBON. - C'est une couleur, une matière et un sentiment. C'est la vie, le sang, le vin, la mort. Ce fil rouge me permet de faire le grand écart entre le drame et la comédie. Tout comme le personnage de Lulu, que je commençais à travailler en mettant au point ce programme.

Votre prise de rôle dans Lulu, à Genève cet hiver, marque un tournant dans votre carrière. Comment aborde-t-on un tel rôle ?

Il y a un avant et un après Lulu. J'ai d'abord regardé la partition en géologue, pour voir la géographie du rôle. Berg, c'est une vraie cartographie : il y a des précipices, des falaises, des creux. Plutôt que de la déchiffrer - ce qui est impossible !-, j'ai regardé la morphologie du rôle… et ça n'a fait aucun doute : Lulu correspondait à mon évolution vocale.

Une évolution que vous avez menée depuis des années.

J'ai toujours obéi à ma voix et à mon instinct, préparant mon « mental » de chanteuse. C'est lui qui vous fait trouver l'équilibre. Le chant est une discipline si complexe. C'est pourquoi j'ai agi par étapes, de façon méthodique et homéopathique. Il fallait compartimenter les efforts. La curiosité et l'envie de sortir des sentiers battus m'ont d'abord fait commencer dans le répertoire baroque, chez William Christie, qui est comme mon père adoptif. Puis j'ai choisi mes rôles, un à un, refusant certain (comme Despina ou Suzanne), car j'en avais une idée très précise et attendais d'être plus mûre. Disons que pour construire mon puzzle vocal, je me suis développée de façon douce, lente, comme un escargot…

Vous avez plutôt une réputation (et des couleurs) de feu follet… Sans sagesse, il n'y a pas de véritable folie, non ?

Pour tendre vers l'extrême tragique, il faut aller vers l'extrême comique. Sans cette légèreté, je n'aurais jamais chanté Lulu.

Mais, pour chanter Lulu, ne faut-il pas une vraie folie ?

Disons que c'est une vraie bataille neuronale. Il faut constamment se triturer le cerveau, chercher des méthodes pour appréhender cette algèbre, cette pyramide sonore. Au départ, on est dans la vase, puis, peu à peu - très lentement -, tout commence à s'éclairer. Quand on est Lulu, il ne faut pas se désespérer et faire confiance à son instinct. Le corps du chanteur doit devenir l'empreinte de la courbe vocale. Il faut mémoriser l'espace et s'imbriquer corporellement dans la musique. Lulu, c'est comme un club. Entre chanteurs, on se soutient, on se motive, on se regonfle. Mais je n'ai pas pour autant transféré ma peur sur ma voix. Et Dieu sait si l'écriture de Berg est bestiale : on utilise la voix jusqu'au cri viscéral, on offre une faille béante.

Cette expérience a-t-elle changé quelque chose en vous ?

Ça a forcément ouvert des perspectives. En tous les cas, ça m'a réconcilié avec ce qui est théorique. Et, maintenant, je sais à quoi ressemble Lulu : son regard, comment elle marche, ce qu'elle inspire aux hommes… D'ailleurs je reprends le rôle cet été prochain à Salzbourg, et à l'automne à Barcelone, dans la production d'Olivier Py.

En sort-on indemne ?

Bien sûr ! Il n'y a pas de «Lulu blues» ! On sort de scène, on rentre chez soi, on se met au lit et on regarde un épisode de Dr House ! J'ai pour maxime une phrase d'Olivier Py dans Les Enfants de Saturne : «Le temps n'est pas ce qui passe mais ce qui vient.» Bref, je suis pleine d'espoir !

jeudi 15 avril 2010

Le NEO nouveau est (presque) arrivé: il paraît en mai...

Arrêtés par la police parisienne, les trois plus grands cuisiniers de la planète sont accusés d'avoir assassiné un médecin, au terme d'un rituel aussi cruel que sophistiqué...

C'est ma petite mignardise du printemps (50 pages...)

lundi 12 avril 2010

Charmant "Mignon" à Favart (Figaro, 12/04/2010)



La nostalgie a toujours du bon ! Pour trouver un Mignon aussi soigné, aussi cohérent que celui proposé à la salle Favart, il faut remonter aux années 50. Voilà un spectacle tel qu’on put en voir nos grands parents : bien chanté, intelligemment dirigé, mis en scène avec astuce et discrétion par Jean-Louis Benoît, faisant la part belle aux décors de Laurent Peduzzi et aux costumes de Thibaut Welchlin. Bref, ce Mignon témoigne une fois de plus de cette esthétique du « bon goût » (au meilleur sens du terme) que prend l’Opéra-Comique depuis qu’il est sous la double houlette de Jérôme Deschamps et Olivier Mantei. Pas de fausses notes ni de provocation bêtasse, mais un classicisme sans ringardise et un sain respect des œuvres présentées. Avec Mignon d’Ambroise Thomas (1866), il y avait pourtant de quoi ricaner. Le « Wilhelm Meister » de Goethe revu à la sauce Badinguet, ça vaut son pesant de nougat. Mais ne nous moquons pas trop vite, car le livret de Barbier et Carré est impeccablement fagoté, et la musique de Thomas d’une constante efficacité. Du vivant du compositeur, l’œuvre fut même jouée plus de 1000 fois dans la seule salle Favart ! Et il ne fait pas de doutes que tonton Ambroise eut apprécié la lecture enamourée et nerveuse qu’en donne François-Xavier Roth, à la tête d’un philarmonique de Radio France remarquablement « bridé ». Malgré un dispositif orchestral relevant de l’archéologie (le chef est face au public), Roth couve un chœur de luxe (excellents Accentus) et une équipe de chanteurs faisant honneur à cette musique si facile à abimer. Nicolas Cavallier, Christophe Mortagne, Blandine Staskiewicz et Frédéric Goncalves chantent et disent le français avec le style qui s’impose. En Malia Bendi-Merad, Favart a trouvé l’une de ces coloratures qui firent la gloire du « Comique ». Il y a du Mesplé dans cette Philine pétaradante et finement peste. Quant au Mignon de Marie Lenormand, il est noble, émouvant et d’une profonde musicalité, car la mezzo est habitée par son rôle. En revanche, si le ténor espagnol Ismael Jordi possède le timbre solaire et la souplesse vocale nécessaire à Wilhelm Meister, il parle le français avec l’accent du général Alcazar. Olé !

Opéra Comique, jusqu’au 18 avril, res : 08 25 01 01 23

samedi 3 avril 2010

Treemonisha au Châtelet (Figaro 02/04/2010)



Œuvre étrange et imparfaite, touchante et bâtarde, gourmande et mal ficelée, Treemonisha est l’unique opéra composé par l’afro-américain Scott Joplin (1868-1917). Toute sa vie, le roi du ragtime traîna ce rêve inachevé comme un boulet, et ne le vit jamais sur scène. Créé au début des années 70, cet opéra-parabole raconte les équipées d’anciens esclaves noirs luttant contre leurs propres superstitions pour mieux s’intégrer dans la jeune Amérique.
La nouvelle production du théâtre du Châtelet est la véritable création de cette œuvre en France, et on ne peut que s’en réjouir.
L’artiste plasticien Roland Roure l’a conçue comme une grande fable naïve, proche du conte pour enfants, avec une débauche de couleurs criardes et de formes oniriques. Sa vision est cohérente, mais trop de naïveté tend parfois à étouffer celle du livret, réduisant les personnages à de simples figurines. Il est vrai que le texte de Joplin, baigné de bons sentiments, prêche une tolérance évangélique pouvant faire sourire. Une direction d’acteur plus resserrée, plus tendue, aurait sans doute crédibilisé les personnages. Disons que la chorégraphe Blanca Li, qui a signé la mise en scène, est plus à l’aise dans les mouvements de foule, les chœurs, ou les parties dansées (impeccables et souvent jubilatoires) que dans les scènes intimistes, trop statiques.
La distribution, presque entièrement noire, est globalement homogène. Si la Treemonisha de Adina Aaron a commencé de façon tendue et hésitante, sa voix s’est assouplie au fil de la représentation. A ses côtés, le ténor Stanley Jackson peine dans le rôle de Remus, qu’il chante façon trompette bouchée. En revanche, le baryton-basse Willard White est nécessairement impérial en Uncle Ben patriarche. Et puis il y a Grace Bumbry… Certes, la mezzo américaine septuagénaire use avant tout de son charisme pour chanter la mère de l’héroïne (très mamie Nova), mais quelle présence ! Le public lui a d’ailleurs fait une juste ovation tandis que les artistes (belle élégance) la faisaient saluer en dernier. Dans la fosse, Kazem Abdullah dirige avec un poil de raideur un Ensemble Orchestral de Paris qu’on aurait voulu plus swinguant ; mais l’œuvre elle-même n’est pas toujours faite pour les épauler. Enfin, saluons les chœurs et les danseurs. Dans Treemonisha ils ont la part belle et le font partager. Et le public claque des doigts…

Châtelet, jusqu’au 9 avril, res : 01 40 28 28 40

lundi 29 mars 2010

Hilarant "Ô Carmen" (Figaro, 29/04/2010)


Certains spectacles sont à ce point gouleyants, à ce point roboratifs qu'on en sort le cœur en fête, avec l'envie d'alpaguer les badauds en trompetant:«Il faut voir ça!» Tel est l'effet produit par Ô Carmen.
Sous-titré Opéra clownesque, ce délirant one-man-show décrit en une heure vingt le montage d'une production de Carmen. Du casting des doublures jusqu'à la première, en passant par les répétitions, les engueulades, les grèves, les bavures, les coups de blues, le doute, la complaisance, les humiliations, c'est une véritable radiographie du monde lyrique que nous offre ce spectacle virtuose, bâti avec une efficacité implacable.
Écrit par Anne Reulet-Simon et mis en scène par Nicolas Vial, Ô Carmen repose avant tout sur l'extravagante performance du comédien-chanteur Olivier Martin-Salvan. Un comédien ? Bien plus : un mime, un clown, un transformiste, une sorte de Fregoli vocal, capable de jouer (et de chanter) tous les rôles de Carmen, du soprano léger de Micaëla aux basses pompeuses du toréador. Il est fascinant de voir cet homme seul en scène, accompagné d'un piano (excellent Aurélien Richard), évoquer tant d'images, avec un mélange de burlesque et de justesse. Car pour qui a déjà suivi les répétitions d'un spectacle lyrique, tout est là. Il y a même une étrange tendresse, voire une amertume, dans le tableau de ces chanteurs qui rentrent chez eux le soir, après les répétitions, pour se retrouver face à leur routine, leurs fantômes, leur indécrottable solitude. Martin-Salvan (qui a fait ses classes chez Novarina) sait casser le rire en une grimace. Tout un monde jaillit de sa face lunaire, sans âge, à la voix flûtée. Certains moments sont des merveilles de nonsense (la soprano obèse qui mange son carlin puis chante en aboyant), mais l'émotion toujours affleure. À l'heure où les coquelets de la variet' kidnappent le patrimoine lyrique pour d'indigestes brouets, voici un spectacle authentiquement grand public, qui fait aimer, chanter et rire l'opéra. Jouissif.
Théâtre du Rond-Point, jusqu'au 3 avril, Loc : 01 44 95 98 21, puis tournée en France jusqu'au 9 juillet.

mardi 16 mars 2010

Epatant "Street Scene" de Kurt Weill à Toulon (Figaro, 16/03/2010)


Par quelle étrange aberration Street Scene de Kurt Weil a-t-il dû attendre soixante-trois ans pour être monté en France ? Créé à New York en 1947, cette œuvre unique en son genre opère la synthèse entre la comédie musicale, le jazz, l’expressionnisme allemand, l’héritage puccinien, la musique afro-américaine, les préoccupations sociales du premier demi-siècle, le théâtre américain de l’immédiat après-guerre… Tout ça ? Mais oui : tout ça. Car là est bien le génie de Kurt Weill : Street Scene est une œuvre chorale au sens où les films d’Altman sont des films polyphoniques. Nous sommes à New York, dans un quartier populaire, présenté « en coupe ». Pendant deux heures, nous plongeons dans la vie d’une communauté hétéroclite (ouvriers, laitiers, immigrants, concierges, écolières, flics, huissiers, médecins), que va secouer un fait divers sordide : un mari jaloux tue sa femme et l’amant de celle-ci. Sous couvert d’anecdote, le livret d’Elmer Rice (inspiré de sa propre pièce) et la partition de Weill offrent un pur joyau de théâtre musical, balançant entre rire et larme, jazz et lyrisme, emphase et clin d’œil. Avec une bonhomie très américaine, Street Scene prend précisément le risque du composite pour mieux jongler avec les codes musicaux. Et c’est ce collage même qui fait de l’opéra un brillant produit du melting-pot, aboutissant à l’œuvre à la plus américaine qui soit. En ce sens, Street Scene semblera même plus abouti que Porgy and Bess de Gershwin, car Weill ne joue pas sur l’artifice de la « couleur ». Ici, c’est l’Amérique toute entière qui s’engouffre.
Grâce soit donc rendue à Claude-Henri Bonnet, directeur de l’opéra de Toulon, d’avoir eu l’audace de monter cette œuvre lourde (une quarantaine de rôle) et étrangement méconnue. La solide mise en scène d’Olivier Bénézech est illustrative, fluide, efficace et sur la fin très émouvante. Il a insufflé une véritable homogénéité à une troupe d’acteurs-chanteurs globalement idoines, qui jouent à fond leur carte. Citons le polymorphe Laurent Alvaro, aussi à l’aise chez Weill que dans le Ring ou la Mélodie du Bonheur. Citons également la Rose douce et sensible de l’anglaise Ruby Hughes. Dans la fosse, le chef américain Scott Stroman tire le meilleur d’un orchestre de Toulon guère rompu à cette musique. Au terme de ce spectacle de bout en bout passionnant, on se demande pourquoi tous les directeurs de théâtres lyriques ne sont pas « descendus » à Toulon. Au lieu de resservir ad nauseam leurs sempiternelles salades baroqueuses et belcantistes, ils feraient bien de nous offrir Street Scene. A bon entendeur…


dimanche 7 mars 2010

Béatrice et Benedict à l'opéra comique



Beatrice et Benedict : entre Shakespeare et Guignol.

Opéra de commande, composé en 1862 par un Berlioz vieillissant et lucide, Beatrice et Benedict n’en est pas moins l’une des œuvres les plus attachantes du musicien. Disons que le père des Troyens s’y est astreint aux règles de l’opéra comique, comme un James Joyce se serait imposé celles du roman policier : un exercice de style où, sous le carcan formel, percent les audaces d’un génie incendiaire.
Car si Beatrice est une variation plus ou moins réussie du Much ado about nothing de Shakespeare, c’est du Berlioz pur jus. Mais un Berlioz dégraissé, d’une liberté de ton confinant à la désinvolture et à la grâce. Raison pour laquelle on reste perplexe devant la lourde volonté du metteur en scène anglais Dan Jemmett de raccorder cette œuvre atypique au théâtre shakespearien. Il a même greffé à l’intrigue un envahissant narrateur, qui se veut le grand marionnettiste de ce jeu de dupes. Certes, la pièce est une histoire de manipulation, mais de là à réduire les personnages à des figurines de guignol aux gestes saccadés, le fossé est trop large. Nul besoin de ces ajouts clownesques, quand Berlioz a lui-même créé Somarone, compositeur bouffon. L’incarnation du vétéran Michel Trempont est d’ailleurs une petite merveille : à 81 ans, le baryton belge donne une vraie leçon de théâtre musical. Il surclasse une distribution au reste plutôt homogène, dominée par le Benedict rayonnant mais un brin léger du ténor Allan Clayton, et la belle Ursule de la contralto Elodie Méchain. Mentionnons également l’excellent chœur de chambre Les Eléments. Dans la fosse, Emmanuel Krivine déborde d’idées. Las, le son de sa « Chambre Philharmonique » est plus à l’aise dans le premier XIXe siècle que dans le Berlioz tardif. A la place de cette verdeur souvent aigre, on rêverait rondeur et onctuosité. Le public le lui a violemment reproché, par des huées bien sottes. Pour Berlioz déjà, Paris était cruel ; rien n’a changé.

samedi 23 janvier 2010

Interview de Natalie Dessay (Figaro, 22 janvier 2010)



Alors que son CD Mad Scenes (Virgin Classics) compile les grandes scènes de folie de l’opéra, Natalie Dessay s’apprête à incarner La Somnambule de Bellini, chef d’œuvre du bel canto italien. A trois jours de la première, la soprano nous parle de ses passions, ses fantômes, ses peurs, ses rêves…

Le Figaro : Pour vous, qui est Amina, héroïne de La Somnambule ?

Natalie Dessay
: Amina est une jeune fille qui permet à son inconscient de s’exprimer par le somnambulisme. Ce qui est passionnant pour moi, car je n’ai pas d’inconscient. J’ai d’ailleurs essayé trois psychothérapies : en vain !

Le chant n’en est-il pas une ?

C’est même la meilleure qui soit. Le fait de crier plus fort que l’orchestre est un formidable exutoire. Si j’ai fait ce métier, c’est en partie pour exprimer une rage que j’avais en moi. Attention : rage ne veut pas dire colère, ni haine…

Ce spectacle est votre avant-dernière Somnambule, pourquoi ?

J’ai pour principe de ne pas chanter un rôle plus de 70 fois. Après la reprise de ce spectacle à Vienne, le compte sera bon. Au-delà, je me lasse. Il faut dire que dans le cas de la Somnambule, la pauvreté du livret n’aide pas. Mais la beauté de la musique sauve le tout.

La Bastille n’est-elle pas trop grande pour ce chef-d’œuvre du Bel Canto ?

J’avais au départ demandé Garnier… Mais avec le Maestro Evelino Pido, je suis comme téléguidée. Il y a entre nous un rapport quasi télépathique.

Avez-vous peur ?

La preuve : j’ai une pharyngite ! Mais c’est comme ça pour chaque production. J’ai beau ne pas avoir d’inconscient…

A l’automne, vous avez chanté Musetta dans la Bohème, qui est un second rôle ; était-ce un clin d’œil ?

Je me suis toujours dit que je chanterai du Puccini une fois dans ma vie, et Musetta est le seul rôle qui convienne à ma voix… Mais ce spectacle, suivi de La Somnambule, m’a surtout permis de rester six mois à Paris, ce qui ne m’était jamais arrivé en vingt ans de carrière ! J’ai pu comme ça suivre la rentrée scolaire de mes enfants, et me reposer…

Passons de Puccini à Verdi : vous affectionnez La Traviata…

C’est même le rôle des rôles. Tout y est magnifique. Il y a la folie, l’amour, la mort, le glamour…
Comment abordez-vous un nouveau rôle ?
Sans a priori, en faisant avant tout confiance au metteur en scène. Pour Manon et Traviata j’ai lu Splendeur et misère des courtisanes de Balzac, histoire d’en savoir plus sur les demies-mondaine…

A l’automne, vous chanterez à Nice votre première Blanche de la Force dans le dialogue des Carmélites de Poulenc. Encore un défi ?

C’est un rôle admirable et qui me fascine particulièrement, car il repose sur la peur…

Un sentiment qui vous touche de près ?

J’ai peur de tout : de la vie, de la mort, de ce qui peut m’être arraché. Petite fille, j’avais peur d’être une enfant et de devenir adulte. Depuis, j’évite le plus possible d’être dans le monde réel. Ce qui est possible, jusqu’au jour où vous avez des enfants, car ils vous ramènent brutalement à la réalité quotidienne.

Vous vivez mal le quotidien ?

Disons que ça me coupe les ailes. Mon bureau est un amas de papiers, de contrats non signés. Je suis incapable de remplir une feuille d’impôts, je ne sais pas combien je gagne. Je crois que ça ne m’intéresse pas. Là où je me sens le mieux, c’est sur scène. Je ne suis juste pas adaptée pour la vie courante.

Dans ce cas, comment luttez-vous contre le spleen de la routine ?

Je lis, je peux m’abstraire longtemps en moi-même, j’observe mes chats… Et depuis cet été je monte à cheval, ce qui tourne presque à l’obsession : je viens de lire les trois romans de Jérôme Garcin sur l’équitation, ainsi que Milady de Paul Morand…

Un peu solitaire, tout ça, non ?

Je crois que je ne suis pas très douée pour les rapports humains. Le but de certains est d’être adoré ; moi, mon objectif est de m’améliorer, à tous points de vue… J’aimerais arriver à un équilibre entre la fermeté et la douceur. Quelque chose qui s’approche de la subtilité. Oui, c’est ça : la subtilité.

Vous êtes très exigeante avec vous-même…

Faut bien ! « Se laisser vivre » est une expression qui me dépasse. La vie, ça se mérite. Regardez ce qui se passe en Haïti : nous avons une chance folle. Voilà pourquoi il faut chaque jour remercier et rendre grâce. Et pourtant je ne crois pas en Dieu !

Une démarche presque mystique ?

J’ai toujours dit que je n’étais pas une personne religieuse mais spirituelle. Je sais, ça sonne prétentieux… Disons que je suis tiraillée entre un complexe d’infériorité et de supériorité. J’assume mal de n’être vue que pour moi-même, j’ai toujours peur qu’on réalise mon imposture… et je ne chante jamais aussi bien que dans ma salle bain !

Vous considérez-vous toujours comme une « actrice qui chante » ?

Toujours ! Quand on fait de l’art, on doit reproduire le vivant. On tente de capter la nature et la vie (c’est ce qui me fascine dans les esquisses de Rembrandt ou les statues du Bernin). A l’opéra, la plupart du temps, c’est mort. Pourtant, si la musique est vivante, il faut que le jeu le soit aussi…

Etes-vous tentée par le « vrai » théâtre ?

Oui. J’avais pour projet de monter une pièce de Thomas Bernard avec Alfredo Arias, mais c’était trop tôt. J’aimerais d’abord passer par la comédie. Quelque chose de pétillant, comme La Dame de chez maxim’s.

A la croisée des genres, Laurent Pelly a monté pour vous, à Toulouse, un spectacle autour de Michel Legrand…

J’ai découvert Peau d’âne à six ans et ne m’en suis jamais remise. Lorsque Laurent m’a proposé une sorte de tour de chant autour de 21 chansons de Legrand, j’étais emballée. Mais quel boulot ! Il m’a d’abord fallu trouver ma voix « normale », et j’étais tellement angoissée que j’en ai fait un lumbago ! Le spectacle était formidable : pour la recette du « cake d’amour », je faisais un gâteau en direct sur scène !

La comédie musicale est un univers qui vous tente ?

J’aimerais bien. Legrand m’a d’ailleurs dit qu’il allait m’écrire un oratorio. J’attends… Mais j’ai toujours dit qu’après l’opéra, je ferai du music-hall !

jeudi 14 janvier 2010

Lettre reçue par Internet... étrange, non?


Salut bien aimé,
Je vous contact aujourd'hui car bien vrai que l'on ne se connaisse pas cela n'empêche ce geste de ma part. Je me nomme Mr PETAIN Philippe
née en france, mais pour raison particulière j'ai du être un aventurier à la recherche de je ne sais quoi..
La raison qui me pousse à vous est la suivante :
Je voudrais passer par votre canal pour faire une oeuvre de charité anonyme dans votre département. Je suis née le 25 Avril 1945 en france à bergaville.C'est une donation en quelque sorte et elle s'élève a la somme de 500 mille d'euros. Ma situation matrimoniale est telle que je n'ai ni epouse et encore moins d'enfants à qui je pourrais léguer cet héritage ,et je souffre présentement d'un cancer de gorge maladie orpheline et incurable ,C'est pour cela que je voudrais de manière gracieuse et dans le souci d'aider les enfants démunis vous donner ce dit héritage pour réaliser cette oeuvre de charité . Si vous êtes d'accord je voudrais avoir les informations suivantes :
Votre nom complet ,
Vos contact:
Un numéro de fax:
numero de compte:
Je compte sur votre bonne volonté et aussi le bon usage de ces fonds pour cette oeuvre. PETAIN Philippe

Ben tiens...

dimanche 3 janvier 2010

Aimable mail d'une lectrice Tchèque au sujet des "Orphelins du Mal"

Good evening,

let me thank you for the perfect novel.
I have bought the book on the salesman´s recommendation.
I read the book in three days.
I read it for hours and hours.
Where do you get the ideas for your books?
I was surprised, horrified, amazed at one point.
What atrocities is man capable of.
Let me wish you success and good ideas for your books.

Kind regards,

Andrea Stepanova (Czech republic)