samedi 3 avril 2010

Treemonisha au Châtelet (Figaro 02/04/2010)



Œuvre étrange et imparfaite, touchante et bâtarde, gourmande et mal ficelée, Treemonisha est l’unique opéra composé par l’afro-américain Scott Joplin (1868-1917). Toute sa vie, le roi du ragtime traîna ce rêve inachevé comme un boulet, et ne le vit jamais sur scène. Créé au début des années 70, cet opéra-parabole raconte les équipées d’anciens esclaves noirs luttant contre leurs propres superstitions pour mieux s’intégrer dans la jeune Amérique.
La nouvelle production du théâtre du Châtelet est la véritable création de cette œuvre en France, et on ne peut que s’en réjouir.
L’artiste plasticien Roland Roure l’a conçue comme une grande fable naïve, proche du conte pour enfants, avec une débauche de couleurs criardes et de formes oniriques. Sa vision est cohérente, mais trop de naïveté tend parfois à étouffer celle du livret, réduisant les personnages à de simples figurines. Il est vrai que le texte de Joplin, baigné de bons sentiments, prêche une tolérance évangélique pouvant faire sourire. Une direction d’acteur plus resserrée, plus tendue, aurait sans doute crédibilisé les personnages. Disons que la chorégraphe Blanca Li, qui a signé la mise en scène, est plus à l’aise dans les mouvements de foule, les chœurs, ou les parties dansées (impeccables et souvent jubilatoires) que dans les scènes intimistes, trop statiques.
La distribution, presque entièrement noire, est globalement homogène. Si la Treemonisha de Adina Aaron a commencé de façon tendue et hésitante, sa voix s’est assouplie au fil de la représentation. A ses côtés, le ténor Stanley Jackson peine dans le rôle de Remus, qu’il chante façon trompette bouchée. En revanche, le baryton-basse Willard White est nécessairement impérial en Uncle Ben patriarche. Et puis il y a Grace Bumbry… Certes, la mezzo américaine septuagénaire use avant tout de son charisme pour chanter la mère de l’héroïne (très mamie Nova), mais quelle présence ! Le public lui a d’ailleurs fait une juste ovation tandis que les artistes (belle élégance) la faisaient saluer en dernier. Dans la fosse, Kazem Abdullah dirige avec un poil de raideur un Ensemble Orchestral de Paris qu’on aurait voulu plus swinguant ; mais l’œuvre elle-même n’est pas toujours faite pour les épauler. Enfin, saluons les chœurs et les danseurs. Dans Treemonisha ils ont la part belle et le font partager. Et le public claque des doigts…

Châtelet, jusqu’au 9 avril, res : 01 40 28 28 40

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