dimanche 30 septembre 2012

critique des Fidélités sur le site de "Page"

Les Fidélités successives

Du fond du bagne de Clairvaux où il purge sa peine pour trahison, Guillaume Berkeley résume ainsi son histoire, celle du nouveau roman de Nicolas d’Estienne d’Orves : « les aventures d’un Anglo-Normand débarqué à Paris tel Candide, et ayant plongé aussi bien dans la collaboration que dans la Résistance ».
Par MARIE MICHAUD, Librairie Gibert Joseph, POITIERS
Nicolas d’Estienne d’Orves avait déjà fait de la Seconde Guerre mondiale la toile de fond de deux de ses précédents romans, très différents d’ailleurs : Fin de race (Flammarion, 2002) et Les Orphelins du mal (XO, 2007). C’est à nouveau le cas pour Les Fidélités successives, mais avec une ampleur, un ton et une ambition tout à fait différents. En effet, même s’il s’agit d’une grande fresque romanesque aux multiples rebondissements, l’intérêt essentiel du propos tient aux questions que pose la trajectoire du personnage principal, sur la passivité, la trahison ou l’héroïsme.
Avant la guerre, Victor et Guillaume Berkeley, deux frères très différents mais très unis, coulent des jours paisibles sur l’île anglo-normande de Malderney, dont ils seront un jour les maîtres. Leur vie n’aurait pas grand-chose de romanesque s’ils ne tombaient amoureux de la même jeune fille, Pauline, ce qui les fait se déchirer et conduit le plus jeune, Guillaume, sur le continent. Simon Bloch, producteur de cinéma à succès qui l’accueille à Paris, lui sert de mentor et l’initie aux codes de la vie parisienne dans les milieux artistiques, intellectuels et bohèmes. Il fréquente Cocteau et Marais, mais aussi Picasso, Aragon ou Drieu La Rochelle. Cette période de griserie et de fêtes ne dure pas, car la guerre est déclarée et Simon, juif, doit s’exiler. Livré à lui-même, Guillaume déambule dans un Paris vidé de ses habitants puis occupé par les Allemands. Sa rencontre avec l’extravagant Marco Dupin – juif, antisémite, homosexuel et provocateur – lui ouvre les portes d’un Paris interlope à travers celles du cabaret Chez Dodo La Menteuse. Après une mission d’inventaire (et de pillage) des musées parisiens pour le compte d’Otto Abetz, Guillaume est engagé comme chroniqueur culturel à Je suis partout sous le « parrainage » de Lucien Rebatet. Pris dans un tourbillon de compromissions qui n’en sont pas toujours à ses yeux, Guillaume ne s’en extraira que sous l’influence de Pauline venue le rejoindre à Paris. Il se grise alors de jouer un double jeu, entre les apparences de la collaboration et des actions secrètes pour la Résistance. Mais qui connaît véritablement les règles de ce jeu dangereux ? Qui les fixe dans l’ombre ?
Même si l’on sait dès les premières pages quelle sera la chute du personnage, entre la trahison de ses rêves artistiques, de sa famille et de son pays, Les Fidélités successives est un roman-fleuve que l’on dévore avec plaisir et intérêt, car Nicolas d’Estienne d’Orves a su en faire à la fois une aventure passionnante, un tableau historique réussi et une réflexion sur le Bien et le Mal dans une période trouble de notre Histoire. Il met d’ailleurs le lecteur en garde contre un manichéisme anachronique à travers la voix de Guillaume : « Avec le recul du temps, tout paraît aisé et confortablement évident. Mais quand vous vivez l’Histoire au jour le jour, quand vous êtes plongé dedans, c’est beaucoup moins simple. On n’est pas spectateur, encore moins analyste ; on est acteur de son temps, qu’on le veuille ou non. »
Lu et conseillé par :
  • Librairie Rive gauche à Lyon Catherine SAURIN
  • Librairie Gibert Jeune à Paris Béatrice LEROUX
  • Librairie Sauramps Odyssée à Montpellier Marion PINVIN
  • Librairie Gibert Joseph à POITIERS Marie MICHAUD
  • Librairie Ducher Plein ciel à Verdun Martine CLESSE
  • Librairie Majuscule-Binet-Aubarbier à Sarlat-la-Canéda Jean-Luc AUBARBIER
  • Médiathèque municipale à Mutzig Eric GIESSENHOFFER

Critique des Fidélités sur le site "critiques libres.com"



l'homme est duel... et la femme dualité

Fidélités successives.

« Avec le recul du temps, tout paraît aisé et confortablement évident. Mais quand vous vivez l’histoire au jour le jour, quand vous êtes plongé dedans, c’est beaucoup moins simple. » C’est ce que Nicolas d’Estienne d’Orvres tente de nous dire dans cette splendide fresque romancée de la France de la collaboration qui remue beaucoup de choses en nous. On y rencontre des artistes des écrivains qui nous ont charmés : de Cocteau à Picasso en passant par le troublant Brasillach qui fut finalement exécuté lors de l’épuration d’après-guerre malgré une pétition de cinquante écrivains signataires. « Le talent est un titre de responsabilité », faisant de ce talent une circonstance aggravante, car il accroît l'influence de l'écrivain, soutenait de Gaulle dans ses «Mémoires» en évoquant Robert Brasillach.

L’auteur s’est largement documenté sur le Paris occupé, les trafics et le marché noir, sur les collaborateurs, sur le personnage Otto Abetz qui le 8 juillet 1940, à la suite de l'armistice entre la France et l'Allemagne entra dans Paris et travailla à mettre en place la politique de collaboration. En effet, dès l'été 1940 la Liste Otto retire de la vente des ouvrages interdits par la censure allemande, organise l'expropriation des biens appartenant à des familles juives et fait main basse sur les prestigieuses collections d’œuvres d’art. Puis suivront les rafles odieuses du Veldiv’ et toutes les horreurs de l’occupation ou de la déportation. Le jour de la déclaration de guerre, un jeune anglo-normand, Guillaume Berkeley, conquérant naïf de la vie adulte, vient de débarquer à Paris chez Simon Bloch un ami de la famille pour découvrir la vie artistique parisienne et oublier une brouille mortelle avec son frère adoré suite à des ambiguïtés amoureuses avec leur demi-sœur, Pauline. On entre de plain pied dans la fiction car l’île en question ne fait que ressembler à Alderney, Sark ou Guernesey… elle est fictive et se prénomme Malderney. Malédiction? Et le voici, campé dans l’appartement parisien de son mentor, Simon Bloch qui a pris soudain la fuite comme tant de juifs, laissant derrière lui un patrimoine artistique considérable.

Très vite, Guillaume devient un familier d’Otto Abetz, écrit dans l’infâme « Je suis partout » et vit très confortablement. Il côtoie Lucien Rebatet, Céline, Sacha Guitry et une collection de grandes personnalités de l’époque. On sera happé par le récit de sa trajectoire chaotique, par l’honnêteté de ses engagements successifs, par ses doutes continuels. L’auteur se penche sur la vie de ce personnage avec l’intention de comprendre, non de juger pourquoi et comment un jeune-homme préservé par sa famille, destiné à être heureux a peu se jeter dans les maux du siècle.

D’un côté « les putes à boches, de l’autre les bonnes françaises…»? Non, tout ceci serait bien trop simple ! Le romancier campe des personnages et des situations complexes. Il a le don de susciter des renversements, de surprendre, de susciter chez le jeune Guillaume des engagements successifs en toute candeur et fidélité. Il nous raconte aussi une histoire d’amour palpitante et une guerre fratricide dans tous les sens du terme. « Racontez-moi votre vie, Guillaume Berkeley. Et aidez-moi à comprendre comment vous avez pu pousser toute ma famille dans les chambres à gaz…» Le roman, très documenté, très bien construit, est écrit avec talent, et oscille continuellement entre enfer et paradis, noir et blanc, entre collaboration et résistance? Entre histoire privée et guerre mondiale. Guillaume est sans cesse ballotté entre les deux amours de sa vie : Victor et Pauline. « Comme si comprendre était plus important que juger, comme si l’écoute était en définitive le seul remède contre la haine. »

Je parle des Fidélités Successives sur France Info, chez Philippe Vallet, dans "Le livre du jour".

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dimanche 16 septembre 2012

Grande ballade en Australie (Les Echos Série Limitée, 14 septembre 2012)



En Australie, la beauté peut être asphyxiante, suffocante à force d'immensité. Comme s'il y avait un blasphème à la contempler, à se trouver en sa présence. La beauté australienne est également évidente, puisqu'elle vient des origines mêmes du monde. Mais il faut la chercher, la guigner.
Au vrai, l'arrivée à Melbourne, dans le Victoria, surprend peu. On a beau être aux antipodes, nous sommes en Occident. Ville bonhomme, ville joviale, Melbourne est au croisement de Londres et de Boston, avec quelque chose de délicieusement latin dans ses nombreux passages aux commerces de bouche. Ici, les terrasses de café ont un petit air romain, un parfum de dolce vita. Melbourne est une ville du bon et du bien vivre, où les arts de l'esprit et de la table sont à la fête. Ici campent les meilleurs restaurants du pays et les meilleurs théâtres. Fiers de leurs régions, les habitants du Victoria veulent absolument que l'on contemple leur immense Great Ocean Road. Serpentant le long de la côte sud du pays, ce vertigineux parcours est une sorte de « super Etretat ». Tout est démesuré : nos falaises normandes cheminent sur quelques dizaines de kilomètres, les murailles australiennes, elles, semblent infinies. Et ce n'est pas une mais vingt aiguilles creuses qui jaillissent du Pacifique, ces surrections de roches étant baptisées les Douze Apôtres.
Pour voir l'Australie authentique, l'Australie originelle, il faut faire cap au nord et filer dans le fascinant Red Center. Dès la descente de l'avion, à Alice Springs, on est saisi d'une bouffée de chaleur sèche. Ici, tout est minéral. Parcourant les pistes de cet immense désert rouge qui occupe une grande partie du continent australien, on se sent étrangement jeune. Oui, tel est bien le sentiment qui s'installe devant ces paysages infinis : on contemple l'aube des temps, l'aurore du monde. Ces étendues ocre, hérissées de montagnes écarlates, sous un ciel bleu cobalt. Ces eucalyptus, nés d'une terre plus sèche que le soleil lui-même. Cette lumière écrasante, qui semble avoir éclairé les premiers soupirs de l'homme. Nous sommes bien au paradis : un paradis rude, austère, hostile, où l'on subsiste à la force de l'âme et grâce à l'esprit de clan.
Bienvenue au pays des Aborigènes ! Voilà soixante mille ans que ces hommes occupent ce territoire. Soixante millénaires d'harmonie et de lutte avec les éléments. Soixante millénaires passés en symbiose avec la terre-mère. Les Aborigènes vivent sous le signe d'une mythologie commune, le dreamtime. Sorte de temps primitif où prirent naissance tout à la fois leurs traditions, leur géographie et leurs ancêtres, ils s'y immergent lors de cérémonies occultes, comme on plonge un instant dans un monde parallèle. Ces descendants de l'origine, on les croise dans les rues d'Alice Springs ou bien au milieu du bush, lorsque, tout à coup, une silhouette surgit étrangement en plein désert, à mille lieues de toute habitation et de tout point d'eau.
Dormir dans le bush est une expérience en soi. Il faut d'abord faire des heures de pistes cahotantes, au milieu d'une nature sublime et désolée. Puis trouver le bon spot : pas trop loin d'un point d'eau, pas trop près des buissons, où se nichent des insectes qu'on n'ose nommer ici. Ensuite, on « construit un feu » (anglicisme pour build a fire). Alors, sous un ciel d'encre troué d'étoiles, on fait griller des filets de kangourou aussi onctueux que du magret de canard. Si les guides sont inspirés, ils vous racontent des légendes du bush, des mythes tirés du dreamtime, puis vous mettent en garde contre les dingos, qui rôdent dans l'obscurité. Enfin, les paupières s'alourdissent et l'on se glisse dans un swag, sorte de lit-sarcophage posé à même le sable. Le sommeil vous happe... Au lever du jour, lorsque le soleil frappe les montagnes rouges jusqu'à l'incandescence, on croit vraiment assister à la création du monde.
Après quatre jours dans l'outback, retrouver la civilisation en découvrant Sydney est presque aussi violent. Les neuf dixièmes de la population australienne vivent dans les grandes villes, et Sydney est l'une des mégalopoles les plus excitantes du globe. Si Melbourne est bostonienne et british, Sydney semble un croisement de New York et San Francisco. De la première, elle a l'arrogance massive, la grandeur marmoréenne de ses buildings, mais un esprit californien flotte aussi dans les rues, avec ce permanent culte du sport : chaque matin, la chaussée est envahie par les joggeurs. Et puis, malgré sa minéralité très citadine, Sydney semble toujours communier avec la nature. Les fabuleux jardins botaniques qui en occupent le centre exhibent des arbres gigantesques, pour ne pas dire cyclopéens. Enfin, il y a cet Opéra, symbole incontestable de la ville (leur tour Eiffel), qui reste, un demi-siècle après sa construction, une prouesse et une merveille. Coquille géante, collier de voiles, animal étrange, le bâtiment s'avance sur la mer avec une audace placide et une douce folie, résumant à eux seuls les paradoxes et les contrastes de cet autre bout du monde.

Y ALLER
L'Australie, c'est loin. Avec vingt-trois heures de vol, il n'existe pas de vols directs depuis Paris. Vous passez nécessairement par Singapour ou Hongkong afin de rallier Sydney avec la compagnie Qantas en A380 (à partir de 1 295 euros en classe économique, www.qantas.fr, tél. : 0 811 980 002). Sa classe Affaires est dotée d'un « Skybed » conçu par le designer australien Marc Newson, proposant un lit de 2 mètres. Qantas vous conduira également à Alice Springs (2 h 30 de vol depuis Sydney ou Melbourne). N'oubliez pas de prendre votre visa par Internet quelques jours avant la date de départ (www.immi.gov.au). Consulter également les sites des offices du tourisme d'Australie (www.australia.com), du Victoria (www.visitmelbourne.com/fr) et du Territoire du Nord (www.tourismnt.com.au).

SE LOGER
À Melbourne, on descend à l'hôtel Olsen (ci-dessus), au design contemporain et aux chambres pourvues de toiles d'artistes (222 euros, www.artserieshotels.com.au/olsen). Plus central et plus classique, l'hôtel Lindrum est une institution melbournaise, avec son immeuble victorien et sa déco très new-yorkaise (274 euros, www.hotellindrum.com.au). À Alice Springs, le Lasseters Hotel Casino est un ample resort, doté de plusieurs piscines, de deux restaurants et d'un casino. Les chambres y sont spacieuses et très bien climatisées (100 euros, www.lhc.com.au). La véritable expérience est une nuit passée dans l'outback, à la belle étoile, avec la compagnie Wayoutback Desert Safaris (380 euros par personne, www.wayoutback.com.au). À Sydney, il est difficile de faire l'impasse sur une nuit au Shangri-La, dont les chambres dominent la somptueuse baie et le fameux Opéra (290 euros, www.shangri-la.com).

OÙ MANGER
À Melbourne, allez dîner dans le délicieux Charcoal Lane. On y mangera du tartare de wallaby, du filet de kangourou, du barramundi (un poisson), du crumble de rhubarbe, arrosé d'un des merveilleux shiraz australien (www.charcoallane.com.au). À Alice Springs, dégustez des nuggets de queue de crocodile (semblable à du poulet) ou des brochettes de chameau (proche de l'agneau), arrosés de (très bonne) bière australienne, au Juicy Rump, restaurant du Lasseters Hotel. Brunchez à l'étonnant Kwerralye Café, qui propose des petits déjeuners 100 % aborigènes, servis par le personnel idoine (www.kwerralyecafe.com). Si l'Asie vous démange, le restaurant Hanuman propose d'excellents plats d'influence thaïlandaise (www.hanuman.com.au). Plus roots, un dîner dans le bush, sous les étoiles, avec le chef Bob Taylor, ses bush tomatoes, traditional outback beef stew et autres wattle seed dukkah (www.rttoursaustralia.com.au, 120 euros par personne). À Sydney, si vous dormez au Shangri-La, allez dîner au restaurant Altitude (photo en haut à droite), au 37e étage de l'hôtel. La table est au diapason de la vue. Et la carte des vins propose quelques (coûteuses) merveilles locales. Les amoureux de cuisine aborigène achèteront à grand profit le livre Mark Olive's Outback Café. A Taste of Australia (RM Williams Publishing) du chef Mark Olive, le Ducasse de la cuisine aborigène. Certes, pas facile de trouver de l'émeu fumé en France, mais qui ne tente rien n'a rien...

À VOIR
Mebourne est une ville où l'on a envie de baguenauder, de terrasses en passages couverts, avec un net parfum d'Europe. Les passionnés d'art iront visiter la NGV (National Gallery of Victoria), qui fait la part belle à l'art aborigène (www.ngv.vic.gov.au). Les disciples de Linné iront se perdre dans les Royal Botanic Gardens (www.rbg.vic.gov.au). Enfin, les amateurs de vertige monteront au sommet de l'Eureka Skydeck, plus haut gratte-ciel de la ville (300 mètres). À son sommet, une cabine de verre pouvant contenir dix personnes se décroche de la façade et vous plonge dans le vide pendant quelques minutes. Terrifiant ! (www.eurekaskydeck.com.au). Alice Springs est le point de départ de toutes les grandes excursions dans le centre de l'Australie. On y rejoint le mythique Ayers Rock ou le Kings Canyon. On peut aussi aller visiter les superbes West MacDonnell Ranges, chaîne de montagne entourant la ville. Si vous avez le courage (et les autorisations), roulez jusqu'à Papunya, visiter le Papunya Tjupi Centre (www.papunyatjupi.com), lieu de naissance de l'art aborigène. Sinon, la ville d'Alice Spring dispose d'une galerie exposant les Papunya Tula artists (www.papunyatula.com.au). Attention, ces deux institutions sont distinctes l'une de l'autre. Mais toutes deux vendent des toiles aborigènes.

À PARIS
Parfois considéré comme une curiosité ethnologique, l'art aborigène fait enfin son entrée en fanfare au Musée du quai Branly. L'exposition « Aux sources de l'art aborigène. Papunya, Australie, 1971-1983 » va permettre au public français de découvrir les oeuvres fondatrices de cette école artistique. Les Parisiens vont contempler les toiles d'artistes aux noms chantants et mystérieux, comme si la préhistoire s'invitait en bord de Seine pour leur souffler au visage son éternelle jeunesse. Du 9 octobre 2012 au 20 janvier 2013, www.quaibranly.fr
NICOLAS D'ESTIENNE D'ORVES

samedi 15 septembre 2012

Je parle des Fidélités Successives chez Olivier Barrot, sur France 3, dans "Un livre, un jour"

cliquez sur: http://programmes.france3.fr/livres/un-livre-un-jour/les-fidelites-successives

jeudi 6 septembre 2012

Adorablissime papier de Yann Moix dans le Figaro Littéraire de ce matin


Un roman culotté

Nicolas d’Estienne d’Orves est fou. Quand il ne passe pas en contrebande des petits opus maigres et discrets sur ce qu’il mange ou ce qu’il écoute, qu’il n’écrit pas sur la mort de ses meilleurs amis, il nous assène, avec un culot qui n’appartient qu’à sa manière et qu’il accompagne généralement d’une andouillette, d’énormes romans remplis de personnages réels qui n’ont jamais existé et réciproquement. Cette fois, non content d’avoir fait le tour du nazisme (sujet thrillerisé d’un précédent pavé), il vient nous gifler, ravi et repu, de 700 pages d’aberration collaborationniste. Pour saisir le toupet du gars, et surtout son état d’esprit, sa façon, son univers, il faut lire Les Fidélités successives, saga démente et crépusculaire où l’on croise à chaque couloir Rebatet et Brasillach, comme on regarde Si Versailles m’était conté de Sacha Guitry. Cet improbable fourre-tout, agencé comme une tour Eiffel, relève de l’Histoire burlesque ou du burlesque historique. Mel Brooks n’est pas très loin non plus. Est-ce bien grave ? Nenni : par l’accélération des chronologies, les feintes inéquitables, les détours machiavéliques, les inacceptables insinuations, les hypothèses furieuses, ce roman, dont le héros (Guillaume Berkeley) est un collaborateur qui résiste et un résistant qui collabore, permet, mieux que nombre de laïus universitaires et de pompeuses plaquettes, d’appréhender, non l’exactitude d’une période, non son historicité, peut-être pas non plus sa totale vérité, mais du moins sa complexité. La vérité de sa complexité. Et la complexité de sa vérité. Si le burlesque fonctionne, si la fiction décolle, si le roman roule, c’est parce que le fond historique est là, fouillé, maniaque, précis, documenté. Le décor est ciselé : toute scène peut dès lors s’y jeter, s’y dérouler. Et le romancier, qui n’entend pas recevoir dans son souk la visite des historiens décorés, peut secouer le réel dans tous les sens, ainsi que dans un shaker. Nicolas d’Estienne d’Orves est semblable à un barman (du Lutetia) concoctant pour d’improbables convives des potions qui ne sont pas pour les enfants. La trame centrale du roman, ici, fera vaciller les coeurs tendres et inquiétera les dogmatiques : qu’on puisse expliquer comment des résistants en viennent à livrer des Juifs à l’Allemagne pour financer leurs réseaux, résumé avec cette mienne brutalité, est un choc qui n’est pas recevable ; mais quand le romancier y injecte sa science, sa manie, sa manière, sa folie, sa danse, on bascule dans un univers à devenir fou, paranoïaque, malade, tantôt fort et tantôt vulnérable. Cette « chose » romanesque est un kaléidoscope qui renvoie à l’infinie difficulté qu’avaient les véritables acteurs de l’Histoire à se dépêtrer de cette toile d’araignée, de ces sables mouvants, de ces labyrinthes qui constituaient alors la texture de la réalité. J’ai toujours noté, non sans effroi, la violence de la fascination éprouvée par mon cher d’Orves pour les virages extrêmes de l’existence humaine ; son grand-oncle, figure éminente de la Résistance, doit s’amuser des folies de son petit-neveu : il aimait le talent je crois, et, je le sais de source sûre, n’était pas l’ennemi de la démesure. Ni de l’ambition. Les Fidélités successives resterait, si Nicolas d’Estienne d’Orves cessait d’écrire aujourd’hui, son meilleur livre (celui de la « maturité »). Mais ce dingue absolu ne fait que commencer. LES FIDÉLITÉS SUCCESSIVES De Nicolas d’Estienne d’Orves, Albin Michel, 712 p., 23,90€.