dimanche 16 septembre 2012

Grande ballade en Australie (Les Echos Série Limitée, 14 septembre 2012)



En Australie, la beauté peut être asphyxiante, suffocante à force d'immensité. Comme s'il y avait un blasphème à la contempler, à se trouver en sa présence. La beauté australienne est également évidente, puisqu'elle vient des origines mêmes du monde. Mais il faut la chercher, la guigner.
Au vrai, l'arrivée à Melbourne, dans le Victoria, surprend peu. On a beau être aux antipodes, nous sommes en Occident. Ville bonhomme, ville joviale, Melbourne est au croisement de Londres et de Boston, avec quelque chose de délicieusement latin dans ses nombreux passages aux commerces de bouche. Ici, les terrasses de café ont un petit air romain, un parfum de dolce vita. Melbourne est une ville du bon et du bien vivre, où les arts de l'esprit et de la table sont à la fête. Ici campent les meilleurs restaurants du pays et les meilleurs théâtres. Fiers de leurs régions, les habitants du Victoria veulent absolument que l'on contemple leur immense Great Ocean Road. Serpentant le long de la côte sud du pays, ce vertigineux parcours est une sorte de « super Etretat ». Tout est démesuré : nos falaises normandes cheminent sur quelques dizaines de kilomètres, les murailles australiennes, elles, semblent infinies. Et ce n'est pas une mais vingt aiguilles creuses qui jaillissent du Pacifique, ces surrections de roches étant baptisées les Douze Apôtres.
Pour voir l'Australie authentique, l'Australie originelle, il faut faire cap au nord et filer dans le fascinant Red Center. Dès la descente de l'avion, à Alice Springs, on est saisi d'une bouffée de chaleur sèche. Ici, tout est minéral. Parcourant les pistes de cet immense désert rouge qui occupe une grande partie du continent australien, on se sent étrangement jeune. Oui, tel est bien le sentiment qui s'installe devant ces paysages infinis : on contemple l'aube des temps, l'aurore du monde. Ces étendues ocre, hérissées de montagnes écarlates, sous un ciel bleu cobalt. Ces eucalyptus, nés d'une terre plus sèche que le soleil lui-même. Cette lumière écrasante, qui semble avoir éclairé les premiers soupirs de l'homme. Nous sommes bien au paradis : un paradis rude, austère, hostile, où l'on subsiste à la force de l'âme et grâce à l'esprit de clan.
Bienvenue au pays des Aborigènes ! Voilà soixante mille ans que ces hommes occupent ce territoire. Soixante millénaires d'harmonie et de lutte avec les éléments. Soixante millénaires passés en symbiose avec la terre-mère. Les Aborigènes vivent sous le signe d'une mythologie commune, le dreamtime. Sorte de temps primitif où prirent naissance tout à la fois leurs traditions, leur géographie et leurs ancêtres, ils s'y immergent lors de cérémonies occultes, comme on plonge un instant dans un monde parallèle. Ces descendants de l'origine, on les croise dans les rues d'Alice Springs ou bien au milieu du bush, lorsque, tout à coup, une silhouette surgit étrangement en plein désert, à mille lieues de toute habitation et de tout point d'eau.
Dormir dans le bush est une expérience en soi. Il faut d'abord faire des heures de pistes cahotantes, au milieu d'une nature sublime et désolée. Puis trouver le bon spot : pas trop loin d'un point d'eau, pas trop près des buissons, où se nichent des insectes qu'on n'ose nommer ici. Ensuite, on « construit un feu » (anglicisme pour build a fire). Alors, sous un ciel d'encre troué d'étoiles, on fait griller des filets de kangourou aussi onctueux que du magret de canard. Si les guides sont inspirés, ils vous racontent des légendes du bush, des mythes tirés du dreamtime, puis vous mettent en garde contre les dingos, qui rôdent dans l'obscurité. Enfin, les paupières s'alourdissent et l'on se glisse dans un swag, sorte de lit-sarcophage posé à même le sable. Le sommeil vous happe... Au lever du jour, lorsque le soleil frappe les montagnes rouges jusqu'à l'incandescence, on croit vraiment assister à la création du monde.
Après quatre jours dans l'outback, retrouver la civilisation en découvrant Sydney est presque aussi violent. Les neuf dixièmes de la population australienne vivent dans les grandes villes, et Sydney est l'une des mégalopoles les plus excitantes du globe. Si Melbourne est bostonienne et british, Sydney semble un croisement de New York et San Francisco. De la première, elle a l'arrogance massive, la grandeur marmoréenne de ses buildings, mais un esprit californien flotte aussi dans les rues, avec ce permanent culte du sport : chaque matin, la chaussée est envahie par les joggeurs. Et puis, malgré sa minéralité très citadine, Sydney semble toujours communier avec la nature. Les fabuleux jardins botaniques qui en occupent le centre exhibent des arbres gigantesques, pour ne pas dire cyclopéens. Enfin, il y a cet Opéra, symbole incontestable de la ville (leur tour Eiffel), qui reste, un demi-siècle après sa construction, une prouesse et une merveille. Coquille géante, collier de voiles, animal étrange, le bâtiment s'avance sur la mer avec une audace placide et une douce folie, résumant à eux seuls les paradoxes et les contrastes de cet autre bout du monde.

Y ALLER
L'Australie, c'est loin. Avec vingt-trois heures de vol, il n'existe pas de vols directs depuis Paris. Vous passez nécessairement par Singapour ou Hongkong afin de rallier Sydney avec la compagnie Qantas en A380 (à partir de 1 295 euros en classe économique, www.qantas.fr, tél. : 0 811 980 002). Sa classe Affaires est dotée d'un « Skybed » conçu par le designer australien Marc Newson, proposant un lit de 2 mètres. Qantas vous conduira également à Alice Springs (2 h 30 de vol depuis Sydney ou Melbourne). N'oubliez pas de prendre votre visa par Internet quelques jours avant la date de départ (www.immi.gov.au). Consulter également les sites des offices du tourisme d'Australie (www.australia.com), du Victoria (www.visitmelbourne.com/fr) et du Territoire du Nord (www.tourismnt.com.au).

SE LOGER
À Melbourne, on descend à l'hôtel Olsen (ci-dessus), au design contemporain et aux chambres pourvues de toiles d'artistes (222 euros, www.artserieshotels.com.au/olsen). Plus central et plus classique, l'hôtel Lindrum est une institution melbournaise, avec son immeuble victorien et sa déco très new-yorkaise (274 euros, www.hotellindrum.com.au). À Alice Springs, le Lasseters Hotel Casino est un ample resort, doté de plusieurs piscines, de deux restaurants et d'un casino. Les chambres y sont spacieuses et très bien climatisées (100 euros, www.lhc.com.au). La véritable expérience est une nuit passée dans l'outback, à la belle étoile, avec la compagnie Wayoutback Desert Safaris (380 euros par personne, www.wayoutback.com.au). À Sydney, il est difficile de faire l'impasse sur une nuit au Shangri-La, dont les chambres dominent la somptueuse baie et le fameux Opéra (290 euros, www.shangri-la.com).

OÙ MANGER
À Melbourne, allez dîner dans le délicieux Charcoal Lane. On y mangera du tartare de wallaby, du filet de kangourou, du barramundi (un poisson), du crumble de rhubarbe, arrosé d'un des merveilleux shiraz australien (www.charcoallane.com.au). À Alice Springs, dégustez des nuggets de queue de crocodile (semblable à du poulet) ou des brochettes de chameau (proche de l'agneau), arrosés de (très bonne) bière australienne, au Juicy Rump, restaurant du Lasseters Hotel. Brunchez à l'étonnant Kwerralye Café, qui propose des petits déjeuners 100 % aborigènes, servis par le personnel idoine (www.kwerralyecafe.com). Si l'Asie vous démange, le restaurant Hanuman propose d'excellents plats d'influence thaïlandaise (www.hanuman.com.au). Plus roots, un dîner dans le bush, sous les étoiles, avec le chef Bob Taylor, ses bush tomatoes, traditional outback beef stew et autres wattle seed dukkah (www.rttoursaustralia.com.au, 120 euros par personne). À Sydney, si vous dormez au Shangri-La, allez dîner au restaurant Altitude (photo en haut à droite), au 37e étage de l'hôtel. La table est au diapason de la vue. Et la carte des vins propose quelques (coûteuses) merveilles locales. Les amoureux de cuisine aborigène achèteront à grand profit le livre Mark Olive's Outback Café. A Taste of Australia (RM Williams Publishing) du chef Mark Olive, le Ducasse de la cuisine aborigène. Certes, pas facile de trouver de l'émeu fumé en France, mais qui ne tente rien n'a rien...

À VOIR
Mebourne est une ville où l'on a envie de baguenauder, de terrasses en passages couverts, avec un net parfum d'Europe. Les passionnés d'art iront visiter la NGV (National Gallery of Victoria), qui fait la part belle à l'art aborigène (www.ngv.vic.gov.au). Les disciples de Linné iront se perdre dans les Royal Botanic Gardens (www.rbg.vic.gov.au). Enfin, les amateurs de vertige monteront au sommet de l'Eureka Skydeck, plus haut gratte-ciel de la ville (300 mètres). À son sommet, une cabine de verre pouvant contenir dix personnes se décroche de la façade et vous plonge dans le vide pendant quelques minutes. Terrifiant ! (www.eurekaskydeck.com.au). Alice Springs est le point de départ de toutes les grandes excursions dans le centre de l'Australie. On y rejoint le mythique Ayers Rock ou le Kings Canyon. On peut aussi aller visiter les superbes West MacDonnell Ranges, chaîne de montagne entourant la ville. Si vous avez le courage (et les autorisations), roulez jusqu'à Papunya, visiter le Papunya Tjupi Centre (www.papunyatjupi.com), lieu de naissance de l'art aborigène. Sinon, la ville d'Alice Spring dispose d'une galerie exposant les Papunya Tula artists (www.papunyatula.com.au). Attention, ces deux institutions sont distinctes l'une de l'autre. Mais toutes deux vendent des toiles aborigènes.

À PARIS
Parfois considéré comme une curiosité ethnologique, l'art aborigène fait enfin son entrée en fanfare au Musée du quai Branly. L'exposition « Aux sources de l'art aborigène. Papunya, Australie, 1971-1983 » va permettre au public français de découvrir les oeuvres fondatrices de cette école artistique. Les Parisiens vont contempler les toiles d'artistes aux noms chantants et mystérieux, comme si la préhistoire s'invitait en bord de Seine pour leur souffler au visage son éternelle jeunesse. Du 9 octobre 2012 au 20 janvier 2013, www.quaibranly.fr
NICOLAS D'ESTIENNE D'ORVES

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