mardi 20 décembre 2011

Pravda + (Bien vu, Figaro, 20/12/2011)

Certaines personnes vieillissent mal. Les rides les rendent amères, obtuses et sentencieuses. Les premières « saisons », « L’année du zapping » était un rendez-vous jubilatoire de fin décembre. En quelques heures, on découvrait l’herbier cinglant de douze mois de télévision. Tout y passait : politique, culture, jeux, docs, info… Une moulinette d’autant plus implacable qu’elle n’obéissait à aucune structure scénarisée, mais proposait un enchaînement aléatoire. Une revigorante roulette russe. Puis, avec le temps, le curseur s’est déplacé. Le démon des idées s’est emparé des herboristes, qui nous offrent désormais un décryptage biaisé (quoique toujours remarquablement bien troussé) de l’année qui s’achève. Ce qui décapait joyeusement le bourrage de crâne médiatique est devenu un authentique outil de propagande. Choix des images, montage, sélection des propos, des intervenants : le panel anarchique a viré au stalinisme bon teint. Ici, on brocarde la bande du Fouquet’s, la cruauté des puissants, le nucléaire, le grand capital. Le « Zapping » casse du riche : ça fait chic. Si DSK en prend pour son grade, les canons sont braqués sur l’autre rive. De Marine à Sarko, c’est un festival de petites phrases douteuses, présentées comme autant de sentences ambiguës. En face ? RAS. Montebourg, Mélenchon, Besancenot figurent parmi les sages et tirent la morale, faisant écho aux barrissements des Indignés et autres yoyotages hesseliens. Bref, le « Zapping » ne recense pas l’année : il la relit, la recoud, la révise. L’esprit Canal a grise mine : le matraquage a remplacé l’insolence, et l’image cryptée sent sa Pravda. Le « Zapping » frappé de sénilité ? C’est triste, mais la vieillesse est cruelle. Il n’y a parfois qu’une issue : débrancher.

mardi 13 décembre 2011

Massenet en grandes notes (Figaro, 13 décembre 2011)

Pour reprendre un chardonnisme consacré, « Massenet c’est beaucoup plus que Massenet » . Toutefois, que sait-on aujourd’hui de Jules Massenet (1842-1912) ? Tout juste connaît-on une poignée de succès incontestables ( Manon, Werther, Thaïs), quelques anecdotes bien senties et peu glorieuses (rapportées par ses détracteurs, tel Léon Daudet) et beaucoup d’idées préconçues. Peu de compositeurs ont à ce point pâti de leur succès, comme si la postérité, vacharde, s’était vengée sur un artiste tant fêté de son vivant.
Compositeur quasi officiel de la jeune IIIE république, il fut une star, une vraie. Couvert d’honneurs, de gloires, de médailles, de couronnes. De femmes, surtout, qu’il savait si bien charmer et à qui, de Manon à Hérodiade en passant par Thaïs ou Esclarmonde, il confiait des rôles enjôleurs. Certes, Massenet n’a jamais cherché à révolutionner son art. Ses opéras sont contemporains de Parsifal, d’otello, de Falstaff, de Tosca, de Salomé, d’elektra, de Pelléas ; de même, il meurt un an après Petrouchka de Stravinsky et l’année du Pierrot lunaire de Schönberg, mais reste l’héritier de Gounod et de Thomas. Et alors ? Massenet est un suiveur, un continuateur. Un grand professionnel du théâtre, aussi, mais qui ne s’est jamais reposé sur un simple métier et quelques recettes : si tel était le cas, personne ne pleurerait aujourd’hui à la mort de Werther ou aux sanglots de Manon.
C’est que Massenet savait émouvoir, incontestablement. On voudrait réduire son succès aux charmes datés d’un Paul Bourget, mais plus personne ne lit Le Disciple alors que Massenet fait partie des incontournables. On voudrait également le limiter à l’exotisme systématique d’un Pierre Loti, mais Thaïs émeut encore quand nul ne lit plus guère Pêcheurs d’islande. La grande force de Massenet fut de parler au coeur, voilà tout : sa musique est simple, jamais simpliste. Quel mal y a-t-il à être séduisant, voir séducteur ? C’est pourquoi on n’en finit pas de redécouvrir ses oeuvres, comme sa Cendrillon (1899). S’il n’est pas le chef d’oeuvre de Jules Massenet, cet opéra-conte de fée est une exquise bonbonnière musicale qui doit être montée comme telle. C’est bien ainsi que l’a compris Laurent Pelly, dans cette délicieuse production, rôdée à Santa Fe puis à Londres, et que nous découvrons aujourd’hui à la Monnaie de Bruxelles. Comme toujours chez Pelly, on oscille entre la poésie et la farce, le lyrisme et la parodie. Son spectacle est une boîte au trésor, riches en surprise et clin d’oeil, qui ne cherche jamais à donner plus de sens à une oeuvre n’en ayant guère. Le chef Alain Altinoglu dirige cette musique avec sûreté, maintenant l’équilibre complexe entre la délicatesse et le comique. Mais ce spectacle n’aurait été aussi réussi sans une Cendrillon de tout premier plan. La soprano Anne-catherine Gillet prouve une fois de plus qu’elle est à l’aise dans tous les registres dramatiques, et que sa voix a atteint une plénitude et une souplesse qui lui permettront d’aborder de nombreux rôle (on veut l’entendre dans Manon !).
Lyrique, sensible, piquante, touchante, elle fait montre d’une vaste palette théâtrale soutenue par une technique vocale décidément impeccable. Et puis elle a ce charme naturel, presque rustique, qui fait d’elle l’une des chanteuses les plus attachantes de la scène musicale actuelle (on ne peut que recommander son excellent récital Berlioz-barber-britten, chez Aeon). A côté de cette Cendrillon idéale, le reste de la distribution ne démérite pas : gouleyante Madame de la Haltière de Nora Gubish ; émouvant père de Lionel Lhote ; touchant prince charmant de Sophie Marilley. Bref : une féerie où Jules Massenet aurait sans conteste retrouvé ses petits.






« Cendrillon », La Monnaie de Bruxelles, du 13 au 29 décembre. www.lamonnaie.be

dimanche 11 décembre 2011

"Elle" est bien aimable avec moi (9 décembre 2011)



Droopy au calvaire (Bien vu, Figaro, 12 décembre 2011)

C’est dur la politique ; ça fait mal à l’âme. Pas de tendresse, pas de fidélité, pas d’amitiés. Des coups bas et de la manipulation. Un univers où l’on fusille, de préférence dans le dos. Voilà d’ailleurs la seule aventure dont Nicolas Hulot ne soit pas ressorti face caméra. Le globe-trotteur d’« Ushuaïa » est arrivé chez Europe Écologie-les Verts comme le ravi de la Crèche déboule à la Gestapo : Hulot en politique, c’est Calimero à Nuremberg. Une expérience traumatisante dont il dresse l’autopsie maussade lors d’un documentaire délibérément tristounet. Allongé sur une chaise de psy, il se fait le médecin légiste de son propre assassinat, revenant sur les grandes lignes d’un naufrage politique qui n’aura pas duré six mois. Armé d’idéaux aussi illusoires que bisounours ( « renouer avec la sincérité en politique » ), l’homme de télévision a vécu un véritable chemin de croix. Il aurait presque des airs du bon Jésus, M. Hulot. Collez-lui une barbe, un béret en ronciers, des clous aux paumes, et notre Vendredi saint sera écologique. Dans le rôle de PoncePilate, Eva Joly est nécessairement parfaite. On la voit crucifier notre messie-du-paf à sa propre inexpérience politicarde. Batracienne pugnace aux lunettes rouge sang, Eva-la-tueuse se fait une Torquemada retorse, un Beria en jupons. « J’étais mis en examen » , dit sans malice Hulot, la mèche triste et l’oeil cocker, en revoyant les dernières confrontations, lors des primaires écologistes. La sincérité, l’abnégation et le sens de l’honneur sont de belles choses, mon Nico ! Mais la politique se combine mal avec l’héroïsme. Elle appelle d’autres outils, comme l’ambition et la matraque. Pour lutter contre les OGM, il faut suer la haine : ce qui est un métier, pas une danseuse.

dimanche 4 décembre 2011

Le panthéon des cruches (Bien Vu, Figaro, 5 décembre 2011)

La bêtise est parfois charmante, touchante à force d’application. Dans le cas des Miss France, on s’enfonce si loin dans l’inanité, si profond dans les catacombes du néant, qu’on reste juste un peu effaré de ce que l’on s’est infligé pendant plus de trois heures. Cette élection est surtout la preuve que des siècles de soi-disant libération de la femme n’ont pas servi à grand-chose, car c’est ici le triomphe de la potiche. Un spectacle à la fois sexiste et « dé-sexué », fondé sur l’attrait physique et paradoxalement dénué de toute sensualité (une émission d’ailleurs regardée en majorité par un public féminin). Très archaïque, tout ça ! Le jury chargé de juger la reine du « char fleuri » rappelle bien une société primitive, ou quelque harde forestière : dans le rôle du vieux mâle, Alain Delon, qui brame et hâble ; à ses côtés, Francis Huster en clergyman précieux et Pascal Obispo en eunuque dégarni ; puis les femmes, grognardes de la beauté plastique : Linda Hardy et la chanteuse Lorie. Enfin, l’incontournable Jean-pierre Foucault, meneur de revue, et l’inquiétante Sylvie Tellier, cyborg au regard mort, qui a remplacé la pétulante Geneviève de Fontenay. Avouons qu’on la regrette, mamie Fontenay. Avec ses bravades de maquerelle, elle annonçait vraiment la couleur : ses pouliches paradaient comme les demoiselles aguichent le client. Aujourd’hui, c’est moins clair. C’est surtout profondément ennuyeux. Miss Alsace (la gagnante) va récolter 90 000 € de maquillage et porter couronne ? Quelle sinécure ! Disons qu’à l’heure du bio et des produits vrais, l’être humain est ici réduit à sa plus simple expression : la viande.