mardi 13 décembre 2011

Massenet en grandes notes (Figaro, 13 décembre 2011)

Pour reprendre un chardonnisme consacré, « Massenet c’est beaucoup plus que Massenet » . Toutefois, que sait-on aujourd’hui de Jules Massenet (1842-1912) ? Tout juste connaît-on une poignée de succès incontestables ( Manon, Werther, Thaïs), quelques anecdotes bien senties et peu glorieuses (rapportées par ses détracteurs, tel Léon Daudet) et beaucoup d’idées préconçues. Peu de compositeurs ont à ce point pâti de leur succès, comme si la postérité, vacharde, s’était vengée sur un artiste tant fêté de son vivant.
Compositeur quasi officiel de la jeune IIIE république, il fut une star, une vraie. Couvert d’honneurs, de gloires, de médailles, de couronnes. De femmes, surtout, qu’il savait si bien charmer et à qui, de Manon à Hérodiade en passant par Thaïs ou Esclarmonde, il confiait des rôles enjôleurs. Certes, Massenet n’a jamais cherché à révolutionner son art. Ses opéras sont contemporains de Parsifal, d’otello, de Falstaff, de Tosca, de Salomé, d’elektra, de Pelléas ; de même, il meurt un an après Petrouchka de Stravinsky et l’année du Pierrot lunaire de Schönberg, mais reste l’héritier de Gounod et de Thomas. Et alors ? Massenet est un suiveur, un continuateur. Un grand professionnel du théâtre, aussi, mais qui ne s’est jamais reposé sur un simple métier et quelques recettes : si tel était le cas, personne ne pleurerait aujourd’hui à la mort de Werther ou aux sanglots de Manon.
C’est que Massenet savait émouvoir, incontestablement. On voudrait réduire son succès aux charmes datés d’un Paul Bourget, mais plus personne ne lit Le Disciple alors que Massenet fait partie des incontournables. On voudrait également le limiter à l’exotisme systématique d’un Pierre Loti, mais Thaïs émeut encore quand nul ne lit plus guère Pêcheurs d’islande. La grande force de Massenet fut de parler au coeur, voilà tout : sa musique est simple, jamais simpliste. Quel mal y a-t-il à être séduisant, voir séducteur ? C’est pourquoi on n’en finit pas de redécouvrir ses oeuvres, comme sa Cendrillon (1899). S’il n’est pas le chef d’oeuvre de Jules Massenet, cet opéra-conte de fée est une exquise bonbonnière musicale qui doit être montée comme telle. C’est bien ainsi que l’a compris Laurent Pelly, dans cette délicieuse production, rôdée à Santa Fe puis à Londres, et que nous découvrons aujourd’hui à la Monnaie de Bruxelles. Comme toujours chez Pelly, on oscille entre la poésie et la farce, le lyrisme et la parodie. Son spectacle est une boîte au trésor, riches en surprise et clin d’oeil, qui ne cherche jamais à donner plus de sens à une oeuvre n’en ayant guère. Le chef Alain Altinoglu dirige cette musique avec sûreté, maintenant l’équilibre complexe entre la délicatesse et le comique. Mais ce spectacle n’aurait été aussi réussi sans une Cendrillon de tout premier plan. La soprano Anne-catherine Gillet prouve une fois de plus qu’elle est à l’aise dans tous les registres dramatiques, et que sa voix a atteint une plénitude et une souplesse qui lui permettront d’aborder de nombreux rôle (on veut l’entendre dans Manon !).
Lyrique, sensible, piquante, touchante, elle fait montre d’une vaste palette théâtrale soutenue par une technique vocale décidément impeccable. Et puis elle a ce charme naturel, presque rustique, qui fait d’elle l’une des chanteuses les plus attachantes de la scène musicale actuelle (on ne peut que recommander son excellent récital Berlioz-barber-britten, chez Aeon). A côté de cette Cendrillon idéale, le reste de la distribution ne démérite pas : gouleyante Madame de la Haltière de Nora Gubish ; émouvant père de Lionel Lhote ; touchant prince charmant de Sophie Marilley. Bref : une féerie où Jules Massenet aurait sans conteste retrouvé ses petits.






« Cendrillon », La Monnaie de Bruxelles, du 13 au 29 décembre. www.lamonnaie.be

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