vendredi 12 octobre 2012

Critique des Fidélités dans "Le soir" de Belgique (12 octobre 2012)

Infidélités, entre Modiano et Dumas

Le 13 mai 1946, Guillaume Berkeley
est condamné à mort pour collaboration.
Le public accueille le verdict
en injuriant le coupable. Une journaliste
conclut :

« L’île de Malderney est en
deuil, mais la France se porte déjà mieux :
un nouveau traître va payer pour ses crimes.
»


Malderney est une île anglo-normande
ajoutée aux cartes géographiques
par Nicolas d’Estienne d’Orves. Guillaume
Berkeley est un personnage tout aussi
imaginaire. Et que la France se porte
mieux est une appréciation personnelle
(de la journaliste, pas de l’auteur) dont
chacun fera ce qu’il voudra. De préférence
après avoir lu les sept cents et quelques pages
d’un roman touffu et passionnant.
L’argument rejoint celui que Patrick
Modiano a exploré dans certains romans
situés à la même époque : une ambiguïté
fondamentale cultivée en des temps troublés
après lesquels on vous demandera
dans quel camp vous vous trouviez – et, si
vous n’avez pas de réponse, on vous la
fournira. Nicolas d’Estienne d’Orves s’éloigne
de Modiano par la manière dont il
traite le sujet, plus proche d’un Alexandre
Dumas capable de tenir un lecteur en haleine
le temps nécessaire à aller jusqu’au
bout du roman sans relâchement de l’attention.
Au départ, il n’y a guère plus qu’une connerie
de jeunes adultes encore adolescents
dans leur approche de l’amour. Victor
et Guillaume, des frères élevés dans le
culte de la littérature française, se disputent
leur demi-soeur Pauline dont ils sont
amoureux, tandis qu’elle reste dans l’ambiguïté
(elle aussi). Guillaume part à Paris
au moment de la déclaration de guerre, le
1

er septembre 1939. Installé chez son mentor
qui séjournait chaque année sur l’île
de Malderney, Guillaume hésite bientôt
entre sa fidélité à celui-ci, qui est juif, et le
monde des plaisirs aussi intellectuels que
sensuels dans lequel sa jeunesse et sa vivacité
d’esprit font merveille. Il a dix-huit
ans, il est prêt à tout pour se frotter aux
esprits les plus brillants de son temps, et
tant pis s’ils l’entraînent dans une direction
que son absence de convictions ne
l’aurait pas fait choisir.
Il côtoie le « meilleur » de la collaboration
intellectuelle, dîne aux tables les plus
fines, fréquente les femmes les plus aguichantes…
Alexandre Dumas veille : on côtoie
des écrivains et des artistes de renom,
saisis dans des moments si peu reluisants
de leur biographie qu’on est parfois surpris
de les trouver là et, en outre, on a
droit à plus de rebondissements qu’on
n’osait en espérer.

PIERRE MAURY

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