lundi 8 octobre 2012
Les fidélités successives, de Nicolas d'Estienne d'Orves
Je me suis embarquée dans la lecture d’un gros pavé intitulé Les fidélités successives, de Nicolas d’Estienne d’Orves, aux éditions Albin Michel. J’avais des à priori défavorables concernant cet auteur sans aucune raison valable, excepté qu’il écrivait avant des polars édités par Pocket. Qu’on s’entende, tous les polars édités par Pocket ne sont pas mauvais, loin de là, mais les couv’ n’était pas terribles, ni les résumés, et bon… voilà quoi, vous voyez je vous avais dit que c’était basé sur du vent.
M’enfin l’histoire des Fidélités successives, qui n’est pas
un polar, me faisait des clins d’œil langoureux, me balançant des Cocteau,
Picasso, Jean Marais et une histoire tragique de Seconde Guerre mondiale à la
figure. Et puis, sans aucune raison non plus autre que psychologique, je suis
irrémédiablement attirés par les gros pavés qui dans mon esprit sont toujours
gage de qualité.
Bon, ben sachez que ça n’a pas raté, j’étais plutôt contente
d’avoir pris la décision de le lire, parce que Les fidélités successive est un
très bon roman.
Pour vous raconter en quelques mots, Les fidélités
successives relate l’histoire de Guillaume Berckeley, artiste peintre,
journaliste, écrivain, jugé pour ses crimes pendant la seconde guerre mondiale,
sa collaboration avec l’Allemagne nazie, envoyé au bagne et suicidé
dans sa cellule en 1949.
Simon Bloch, vieil ami juif des Berckeley, celui qui a découvert
le talent de Guillaume dans son adolescence et lui a ouvert les portes de
Paris, revient à Malderney – l’île natale de son ami - pour lire à son frère
Victor et sa belle-sœur Pauline le manuscrit que le bagnard à laissé derrière
lui avant de se donner la mort.
Le reste du bouquin se présente donc sous forme de mémoires.
Loin de chercher à expliquer ses faits, à se justifier, à s’excuser, Guillaume
se contente de raconter les faits tels qu’il les a vécu, simplement, avec tous
les questionnements qui lui restent, et qui n’auront jamais de réponse.
Les fidélités successives ouvre alors deux intrigues, celle
de l’histoire du trio Victor /Pauline/Guillaume, qui a poussé Guillaume à
fuir Malderney, et celle de sa vie à Paris durant l’occupation allemande.
Ce qui m’a le plus intéressé dans ce roman c’est surtout le
côté historique du livre. On découvre la France et Paris avant la défaite, puis
pendant, et la vie que menait toute la clique des artistes français de l’époque.
Des fuites de mai 1940 à la résignation des parisiens occupés, jusqu’à la
collaboration passive de certains et la résistance cachées des autres… puis
enfin la libération, violente, rageuse, exterminatrice. Guillaume à tout vécu,
son parcours est atypique. Malderney étant une île (imaginaire) franco-normande
au même titre que Guernsey et Jernsey, il est anglais mais parle français dans
un pays en capitulation avec l’Allemagne et à présent en guerre contre les
anglais. Pour survivre, il se fait naturaliser, fraye avec ceux qui tirent le
mieux leur épingle du jeu, se met
sans vraiment le chercher dans les petits papiers de l’ambassade allemande et
se retrouve aux tables de Göring et de Céline. Photographié avec les plus
puissants occupants, il n’est pourtant pas un vrai collaborateur : il devient le
meilleur ami d’un juif homosexuel antisémite qu’il héberge dans le vieil
appartement de son ami en fuite Simon Bloch, trempe dans le marché noir pour
mettre du beurre dans les épinards, puis lorsque Pauline vient le retrouver et
lui demande de résister, il se lance dans le double jeu…
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Allemands sous l'occupation, qui se prennent un p'tit kawa. |
Un cheminement en demi-teinte, puisqu’il est à la fois
collaborateur et résistant, entraîné malgré lui dans les combines les plus
louches et les faits les plus héroïques. La particularité du parcours du
Guillaume est surtout qu’il ne cherche qu’à vivre. Sa passion est l’art, alors
il devient chroniqueur d’art dans un journal collaborateur. Son statut d’anglais
le désigne comme le nouvel ennemi à abattre alors il se fait naturaliser en
échange de service pour l'empire allemand… et il
fait tout ça de façon candide, naïve, sans arrière-pensée, sans être mauvais.
Il n’a rien contre les juifs, n’a rien contre les français, n’a rien contre les
allemands, n’a rien contre les anglais, il veut juste vivre à paris, continuer
de côtoyer les plus grands, manger aux tables de Jean Cocteau, Sacha Guitry, Jean
Marais, et oublier les dégradations intellectuelles que les plus grands penseurs
infligent à leur temps pour ne retenir que la beauté de Paris et son histoire
culturelle.
L’histoire du trio amoureux que forment Guillaume, Pauline
et Victor sert et dessert le livre à la fois. Pauline est la demi-sœur par
alliance des deux frères. New-Yorkaise, mais aussi de Malderney, elle les rejoint
à ses dix-huit ans, et se met à jouer avec les sentiments des deux frères. D’inséparables
ils vont vite devenir rivaux et une haine profonde va s’installer. C’est cette
rivalité qui va précipiter le départ de Guillaume pour Paris, pour oublier
Victor et Pauline. Bon bien-sûr l’histoire ne s’arrête pas là, c’est un poil
les feux de l’amour parfois dans tout ça… ! Mais cette romance permet de
donner un fil rouge à l’histoire, car finalement ce qui relie les trois
personnages est aussi ce qui va pousser Guillaume à sa perte.
Alors voilà, on est
plongé dans une ambiance parisienne des
plus étranges. Chaque table de restaurant, chaque banquette de cabaret
regorge
de collaborateurs ou d’allemands. L’aventure de Guillaume nous emmène
des les
festins et les soirées les plus pimpantes du Paris occupé, alors que le
reste de la population souffre et ne sait pas sur quel pied danser ; des
familles
de juifs se font rafler et la population se barricade derrière ses
volets
avec ses maigres tickets de rationnement, les rues sont désertes, le
couvre-feu
donne des sueurs à tous les promeneurs nocturnes, et les escouades
d’allemands
s’imposent dans chaque établissement en territoire conquis avec une
vulgarité et
un mépris de plus en plus flagrants. Guillaume lui se laisse porter,
nous
emporte avec lui, et on lit son récit emplis d'émerveillement et de
dégoût.
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Arrestation de Sacha Guitry en 1944, comme de nombreux artistes après la libération |
C’est le second livre que je lis sur cette période de l’histoire.
Le premier était Alibi Club, un polar historique qui se passe durant les deux
mois précédents l’arrivée des allemands à Paris, puis les quelques semaines
après leur intrusion. Son intrigue policière permettait de rencontrer tout un
tas de personnages aussi sombres et ambigus que ceux des Fidélités successives,
et des faits qui se sont passés dans l’ombre de l’histoire dont on n’avait
jamais entendu parler.
Ah, il est loin le
temps où l’on nous apprenait seulement la grande Résistance française,
passant la collaboration et la noirceur de l'occupation sous silence.
Aujourd’hui, les enfants commencent enfin à apprendre le
rôle de la France dans cette guerre, qui n’a pas été faite que de
résistance.
Tout n’était pas blanc, tout n’était pas noir, Les fidélités successives nous
fait voir l’histoire autrement, dans ce qu’elle a de plus beau et de plus
pourri.
Bref, je vous laisse aller jeter un coup d’œil à ce roman en
librairie, il a accompagné mes esprits pendant quelques jours après l’avoir lu,
comme si j’avais regardé le soleil un peu trop longtemps et que je n’arrivais pas
à me défaire de son empreinte, un gage de qualité selon moi.
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