Les Fidélités successives, Nicolas d’Estienne d’Orves livre une fresque passionnante sur un jeune collabo
Le critique musical et prolifique
auteur de « Othon ou l’Aurore immobile » et « Les Orphelins du mal »
livre en cette rentrée 2012 une fresque de plus de 700 pages qui suit
deux frères, dont l’un est critique littéraire à Je suis partout, auprès
du délicieux Lucien Rebatet. Lui-même petite-neveu d’un grand
résistant, Nicoles d’Estienne d’Orves livre une réflexion littérairement
aboutie sur les ambiguïtés de certains double-jeux qui se voulaient
courageux. En librairies le 23 août 2012.
Été
1939. Les deux frères Victor et Guillaume Berkeley ont à peine dix-huit
ans n’ont jamais quitté l’île Anglo-normande dont leur mère est encore
suzeraine, Malderney. Chaque été, un vacancier très lettré, Simon Bloch
les tien au courant de ce qui se lit, voit et dit dans la capitale
française. L’arrivée de la fille de leur beau-père, de New-York, la
troublante Pauline, sème la discorde entre les deux frères qui en
tombent amoureux en même temps.
Lorsque Victor découvre que Guillaume a
passé la nuit avec Pauline, il entre dans une telle rage, que ce dernier
prend le bateau avec Bloch qui lui sert de Cicérone à Paris. Cocteau,
Picasso, Céline, Drieu… le séduisant et talentueux Guillaume devient,
avec son joli minois et ses croquis, la coqueluche du tout Paris
littéraire. Une brève ivresse de quelques mois interrompue par l’arrivée
des Allemands à Paris. Entiché d’une jeune gourgandine, Guillaume n’a
pas su fuir avec son ami Simon Bloch, ni retrouver le chemin de chez
lui.
A Paris on lui présente Otto Abbetz et
il trouve plusieurs emplois de collaboration avec l’ennemi dont le
principal demeure celui ce critique culturel dans le fameux (et
l’infâme) « Je suis partout ». Attiré par le champagne et les
victuailles des cocktails germanophiles, assez résistant au propos
antisémites les plus violents qui forment le doux bruits des mondanités
parisiennes, Guillaume se laisse vivre avec plaisir et laisse faire, à
l’occasion, dans l’appartement de Bloch qu’il continue à occuper du
marché noir. Pas non plus lâche, il reçoit son frère quand celui-ci
vient le voir pour lui parler du sort terrible de leur île, seul
territoire anglais occupé par les forces du Troisième Reich. Et il
s’apprête même à laisser sa vie très confortable pour le suivre en
résistance, jusqu’au moment où il apprend que Pauline a épousé Victor…
Délicieusement anachronique, sorte de
version « Paris occupé » des Thibault (de Roger Martin du Gard), « Les
fidélités successives » est à la hauteur de son très beau titre. Délicat
sur la peinture des personnages doubles comme celui de Guillaume, que
tout accable et que l’auteur enjoint cependant de ne pas juger trop
hâtivement, le roman n’en retrace pas moins avec une exactitude
brillante (et affligeante pour le héros) le quotidien des collabos
« cultivés » de Paris pendant les années noires. De la rue Lauriston à
Sigmaringen, sans oublier d’évoquer la spoliation et la destruction des
intellectuels juifs, Nicolas d’Estienne d’Orves fait revivre Brasillach,
Rebatet, Guitry, Cocteau et bien d’autres, avec une telle vivacité
qu’on se croirait vraiment dans une chronique d’époque. Le genre de
chronique qu’aurait par exemple pu signer un Maurice Sachs. Un roman qui
emporte son lecteur dans un microcosme historiquement impeccable et
humainement empli de question douloureuses. A lire d’une traite.
Nicolas d’Estienne d’Orves, Les Fidélités successives, Albin Michel, 715 p., 24 euros, sortie le 23 août 2012.
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