L’artiste maudit a bonne presse. Je parle de ces créateurs,
victimes de leur époque ou d’une postérité vacharde, dont l’oeuvre disparaît des
mémoires à l’heure même de leur mise en bière. Heureusement pour eux, certains
esprits nécrophages tentent un jour ou l’autre de les réhabiliter. Ainsi
Vermeer, La Tour, Lovecraft et tant d’autres doivent-ils leur éternité à des
âmes généreuses ayant su les dépoussiérer. La musique classique n’échappe pas à
la règle, comme en témoigne la marée baroqueuse (enfin essoufflée) qui a déferlé
sur les théâtres lyriques pendant plus de trois décennies.
Quelques années plus tôt, on redécouvrait les grands phares du bel canto
romantique en exhumant les trésors méconnus de Rossini, Bellini et Donizetti.
Aujourd’hui que ces viviers semblent épuisés, que nous reste-t-il ? Les grands
pontes de l’académisme, semble-t-il. Le festival consacré par le Palazetto Bru
Zane à Théodore Dubois (1837-1924) n’est pas sans rappeler la grande exposition
Jean Léon Gérôme, l’an dernier, à Orsay. Tous deux incarnent les ors et lambris
d’un art officiel et « bien élevé » , ancré dans les honneurs de son temps. Mais
si l’on peut aimer Gérôme pour un kitsch que le recul rend savoureux et décalé,
on sera plus sceptique quant aux satisfactions provoquées par l’audition des
oeuvres complètes de tonton Dubois. Rien de honteux, bien sûr, puisque cet homme
de métier connaissait son affaire et faisait preuve d’un sens de l’équilibre qui
devait le conduire sous la Coupole.
Mais ressusciter Théodore Dubois est-il une priorité, quand on
ne joue presque jamais Albéric Magnard ou Déodat de Séverac ? Quand la musique
de Vincent d’Indy reste méconnue ? Quand le sublime Roi Artus d’Ernest Chausson
n’est monté dans aucune salle d’opéra ? Quand les quatre-vingts pour cent de
l’oeuvre d’Offenbach attendent d’être redécouverts ? Quand Reynaldo Hahn est
encore considéré comme un musicien de salon ? Imaginons-nous dans cent ans nos
arrièrepetits-enfants regardant avec mépris les livres de Houellebecq pour leur
préférer Pierre-jean Remy ? Allons, allons…
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