mardi 4 mai 2010

Interview de Patricia Petibon (Figaro, 30/04/2010)



Pour Patricia Petibon, 2010 est une grande année. Après avoir triomphé dans Lulu à Genève, mis en scène par Olivier Py, elle revient à Paris dans le cadre des Grandes Voix pour un récital baroque. Elle y reprend le programme de son nouveau disque, Rosso.


LE FIGARO. - Votre disque et votre récital tournent autour du rouge. Pourquoi cette couleur ?

Patricia PETIBON. - C'est une couleur, une matière et un sentiment. C'est la vie, le sang, le vin, la mort. Ce fil rouge me permet de faire le grand écart entre le drame et la comédie. Tout comme le personnage de Lulu, que je commençais à travailler en mettant au point ce programme.

Votre prise de rôle dans Lulu, à Genève cet hiver, marque un tournant dans votre carrière. Comment aborde-t-on un tel rôle ?

Il y a un avant et un après Lulu. J'ai d'abord regardé la partition en géologue, pour voir la géographie du rôle. Berg, c'est une vraie cartographie : il y a des précipices, des falaises, des creux. Plutôt que de la déchiffrer - ce qui est impossible !-, j'ai regardé la morphologie du rôle… et ça n'a fait aucun doute : Lulu correspondait à mon évolution vocale.

Une évolution que vous avez menée depuis des années.

J'ai toujours obéi à ma voix et à mon instinct, préparant mon « mental » de chanteuse. C'est lui qui vous fait trouver l'équilibre. Le chant est une discipline si complexe. C'est pourquoi j'ai agi par étapes, de façon méthodique et homéopathique. Il fallait compartimenter les efforts. La curiosité et l'envie de sortir des sentiers battus m'ont d'abord fait commencer dans le répertoire baroque, chez William Christie, qui est comme mon père adoptif. Puis j'ai choisi mes rôles, un à un, refusant certain (comme Despina ou Suzanne), car j'en avais une idée très précise et attendais d'être plus mûre. Disons que pour construire mon puzzle vocal, je me suis développée de façon douce, lente, comme un escargot…

Vous avez plutôt une réputation (et des couleurs) de feu follet… Sans sagesse, il n'y a pas de véritable folie, non ?

Pour tendre vers l'extrême tragique, il faut aller vers l'extrême comique. Sans cette légèreté, je n'aurais jamais chanté Lulu.

Mais, pour chanter Lulu, ne faut-il pas une vraie folie ?

Disons que c'est une vraie bataille neuronale. Il faut constamment se triturer le cerveau, chercher des méthodes pour appréhender cette algèbre, cette pyramide sonore. Au départ, on est dans la vase, puis, peu à peu - très lentement -, tout commence à s'éclairer. Quand on est Lulu, il ne faut pas se désespérer et faire confiance à son instinct. Le corps du chanteur doit devenir l'empreinte de la courbe vocale. Il faut mémoriser l'espace et s'imbriquer corporellement dans la musique. Lulu, c'est comme un club. Entre chanteurs, on se soutient, on se motive, on se regonfle. Mais je n'ai pas pour autant transféré ma peur sur ma voix. Et Dieu sait si l'écriture de Berg est bestiale : on utilise la voix jusqu'au cri viscéral, on offre une faille béante.

Cette expérience a-t-elle changé quelque chose en vous ?

Ça a forcément ouvert des perspectives. En tous les cas, ça m'a réconcilié avec ce qui est théorique. Et, maintenant, je sais à quoi ressemble Lulu : son regard, comment elle marche, ce qu'elle inspire aux hommes… D'ailleurs je reprends le rôle cet été prochain à Salzbourg, et à l'automne à Barcelone, dans la production d'Olivier Py.

En sort-on indemne ?

Bien sûr ! Il n'y a pas de «Lulu blues» ! On sort de scène, on rentre chez soi, on se met au lit et on regarde un épisode de Dr House ! J'ai pour maxime une phrase d'Olivier Py dans Les Enfants de Saturne : «Le temps n'est pas ce qui passe mais ce qui vient.» Bref, je suis pleine d'espoir !

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