Couple à la ville plus qu'à la scène, la soprano Natalie Dessay et le baryton Laurent Naouri vivent ensemble depuis plus de vingt ans. Ils chantent dimanche un récital en duo à l'Opéra de Versailles, avec de larges extraits d'Hamlet et de La Traviata. On les retrouvera aussi dans Pelléas et Mélisande, au Théâtre des Champs-Élysées, en avril.
LE FIGARO. - Pourquoi avez-vous si peu chanté ensemble ?
Natalie DESSAY. - Parce qu'on ne s'appelle par Roberto et Angela (Alagna et Gheorghiu, NDLR)! (Rires.) Sans plaisanter, parce que nous avons peu de répertoire en commun. Si Laurent avait été ténor, cela aurait été plus simple: le répertoire pour ténor et soprano est si vaste.
Laurent NAOURI. - Nous n'avons jamais beaucoup insisté, parce que ça ne nous semblait pas éthiquement acceptable.
«Éthiquement acceptable»?
N. D. - Nous n'avons jamais voulu imposer aux maisons d'opéra un package, parce que nous n'en sommes pas un. Il faut que le choix vienne spontanément.
Il y avait peut-être aussi la question des enfants?
L. N. - Bien sûr. Jusqu'ici les enfants étaient petits. Il fallait donc alterner les absences. On nous a par exemple proposé Les Contes d'Hoffmann en 2013 à San Francisco, mais je resterai à la maison car notre fils passera alors son bac.
Comment être à la fois nomade et parents?
N. D. - Certains collègues ont toujours emmené leurs enfants avec eux. Nous avons privilégié la stabilité, car nous ne voulions pas les priver de vie sociale en en faisant des enfants de la balle.
Vos enfants aiment-ils la musique?
N. D. - Un peu contre leur gré, disons…
L. N. - On n'a pas non plus cherché à les mettre dedans. Je pense qu'on ne les a pas dégoûtés, on leur a ouvert une porte. Ensuite, il faut que ça soit naturel.
N. D. - Notre fille aime bien chanter… mais c'est plus Lady Gaga!
L. N. - À chacun sa diva…
Dans un couple de chanteurs, comment s'écoute-t-on?
L. N. - Assez bien, je crois. On a des intuitions que les autres ne voient pas. Mais ce sont plus des conseils de chanteur à chanteur que de prof de chant.
N. D. - On se connaît vraiment. Nous savons tous deux que notre chant doit être dominé par le mental. Tout doit toujours être conscient, car le laisser-aller, en terme de chant, c'est la mort!
Jamais de lâcher-prise?
N. D. - Ah si, mais uniquement dans l'émotion!
Y a-t-il des moments où vous aviez le sentiment que vos carrières réciproques vous éloignaient l'un de l'autre?
L. N. - J'ai commencé ma carrière avec un déficit dans l'aigu, donc on pensait que j'étais basse ou baryton basse. J'étais le seul à deviner que j'étais baryton. Avec le travail et les années, ma voix s'est ouverte dans le haut. Nos carrières ne se sont donc pas développées au même rythme. Celle de Natalie a démarré beaucoup plus vite.
N. D. - Mais c'est un déséquilibre que Laurent a très bien géré, alors que c'est une situation qui peut-être plus difficile pour un homme.
Cela engendre-t-il des frustrations?
L. N. - Non. Mais disons qu'il était parfois agaçant d'être considéré en France comme l'éternel Golaud ramiste (interprète de Golaud dans Pelléas, ainsi que des opéras de Rameau, NDLR) avec un petit coup de Contes d'Hoffmann. Il a fallu que j'aille aux États-Unis pour faire vraiment des rôles italiens.
Arrive-t-il que l'un dise à l'autre: «Fais attention, tu prends trop de risque!»
N. D. - Je ne me permettrais pas de le dire, car je suis très respectueuse de la liberté de chacun.
L. N. - Il m'est arrivé de penser: «Ah, là, c'est un risque!», mais je me dois de la soutenir. Disons qu'on s'en parle comme des collègues, mais nous n'avons pas d'emprise absolue l'un sur l'autre. On s'écoute, on se conseille. C'est un échange. On ne s'est pas fait une «charte de communication».
N. D. - L'idée est de supporter l'autre… au sens anglo-saxon du terme.
Quel est le rôle d'opéra que vous préférez pour l'autre?
N. D. - Moi, c'est un rôle dans lequel je ne l'ai pas encore vu: Iago, dans Otello, de Verdi. J'aime les méchants, les bad boys! Il faut être subtil. Je sais que Laurent ferait un traître d'anthologie.
L. N. - Là où Natalie m'a le plus subjugué, c'est dans Lucia di Lamermoor. C'est un rôle qu'elle estampille d'un timbre quasi-indélébile. Je me souviens d'une répétition au Met: il y avait très peu de monde, j'étais dans la salle, j'ai entendu ça et l'émotion m'a pris. Je me suis dit que je ne pourrais jamais entendre personne d'autre dans ce rôle…
Et y a-t-il un rôle où vous n'aimez pas voir l'autre?
N. D. - Une fois de plus, je parle au conditionnel: il y a un rôle dans lequel je ne l'aurais jamais aimé, c'est Pizarro, dans Fidelio, de Beethoven. Je déteste cet opéra!
L. N. - Je n'ai pas de souvenir de quelque chose que je n'aurais pas aimé. En revanche, je suis content qu'elle ait décidé de ne pas chanter Blanche de la Force dans Dialogue des carmélites, à l'automne, à Nice. Pour une question de planning, ça n'aurait pas été raisonnable.
N. D. - C'est vrai. Je m'apprêtais à enchaîner avec Cléopâtre dans le Jules César de Händel.
Quand on chante à deux, comment oublie-t-on la ville pour la scène?
N. D. - On ne se pose même pas la question. Sauf peut-être dans le duo de la mouche d' Orphée aux Enfers (où Laurent Naouri, déguisé en insecte géant, butine Eurydice-Dessay sur un canapé. NDLR). Lorsqu'on a commencé à le répéter en scène, j'ai été gêné pour la première fois de ma vie. Ça m'a semblé presque impudique, parce qu'on était un couple à la ville.
L. N. - C'était genre «Welcome in ourbedroom!»
Vous est-il arrivé de penser à tout arrêter, ensemble?
N. D. - Ah, sûrement pas! Moi, je parle d'arrêter tous les deux jours… et ça fait dix ans que ça dure! Et je rêve d'un haras pour vieux chevaux. Si on arrête tous les deux, qui va le payer?
L. N. - Tu ne veux pas le faire aussi pour vieux ténors?
N. D.- Non, non! Je préfère les chevaux: au moins, ils ne chantent pas!
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